Les derniers articles voulaient nous montrer un chemin possible « au-delà de la peur» par son apprivoisement. Certains pourront penser que c'est là un chemin difficile. Oui c'est vrai. Mais nécessaire aussi sûrement pour aller « au-delà du virus ». Car là est la partie la plus difficile et la plus incertaine du chemin à accomplir. En effet, même si la peur limite notre horizon présent en nous faisant baisser la tête, il suffit de la lever un peu pour voir que ce temps décrété du confinement aura une fin - même si nous n'en voyons pas précisément le terme là maintenant. Mais comprenons aussi que nous avons beau porter notre regard loin vers l'horizon, les choses apparaissent comme toujours à cet horizon indistinctes. Et la question devient alors celle de notre boussole, du cap et du capitaine... À suivre...
Dans ces moments où la peur peut obscurcir la raison, la tentation est grande d'espérer que tout cela finisse rapidement, que la vie puisse reprendre son cours comme avant, que l'on puisse revenir à … AVANT, que tout cela ne soit plus qu'un mauvais moment ou un mauvais souvenir. Nous sommes bien là agités par cette propension ordinaire à rejeter, à refuser, à repousser ce qui nous apparaît désagréable et à vouloir trouver ou retrouver l'agréable. Et plus nous fuyons ou vouons fuir ce qui est désagréable et plus le désagrément et la souffrance grandissent. Nous ne faisons alors que rendre les choses et le moment inacceptables, insupportables (https://enviedebienetre.wixsite.com/enviedebienetre/post/c-est-inacceptable) .
Alors il nous faut comprendre que l'issue de la situation ne saurait être dans la fuite, dans un ailleurs de l'ici-et-maintenant. De manière surprenante, c'est dans la considération et l'acceptation du moment présent, dans la patience que nous pouvons espérer une tranquillité et un repos de l'âme, la sérénité. Oui le moment est celui-ci, est ainsi, c’est celui que nous vivons. C'est à condition de ne pas fuir, d’être comme en panique, cherchant sans trouver de quel côté nous tourner, que nous trouverons la véritable issue.
Et d'abord, c’est en nous posant pour considérer les choses telles qu'elles sont que nous pourrons nous ménager une véritable voie de sortie, une possible vie à venir, plus satisfaisante. En nous posons dans la situation nous pouvons alors mieux la reconnaître pour ce qu’elle est, en quoi elle est transformée, tout à la fois par ce qui nous vient à manquer véritablement, et parce qu'elle nous révèle de nos besoins vitaux, et de nos espérances profondes.
Ainsi les choses peuvent-elles être mises en perspective. Ainsi pouvons-nous comprendre ce qui doit être transformé entre « l'avant » et « l'après ». L'après ne pourra pas être comme l'avant. C'est déjà la base des enseignements de l'impermanence : tout change tout le temps ! L'habituation nous le masque souvent. Mais là, la situation nous le révèle avec force et puissance - peut-être dans la souffrance ! Mais surtout, une question se pose : pourquoi devrait on vouloir restaurer l'avant ? Les choses étaient-elles si incontestablement bonnes que nous n'ayons alors rien à vouloir changer ? Et puis cette autre question : si les choses changent nécessairement et doivent changer, alors que doit-on et que peut-on changer pour faire advenir et construire un autre monde meilleur ?
Tout cela apparaît alors comme une invitation au discernement, l'occasion, l'opportunité pour y voir plus clair dans ce que nous voulons , pour comprendre ce qui nous est réellement nécessaire pour mieux vivre . Dans ce constat, au premier abord navrant, d'une sorte d'arrêt du monde, nous pouvons en réalité plutôt d'abord constater que pour la plupart nous sommes vivants et que la vie continue, même si tous les morts du virus viennent se rajouter aux autres morts pour bien d’autres raisons, et même si certains verront leur vie prolongées par le confinement et l’arrêt des pollutions.. Tout cela est vrai. Peut-être pouvons-nous alors nous demander dans ce repos obligé, ce à quoi il serait bon finalement de renoncer, car cela ne nous apparaît pas si nécessaire, si indispensable à la réflexion - et peut-être même nuisible plus encore que superflu ? Et a contrario, on pourrait peut-être mieux distinguer comme vital ce qui était devenu banal, voire inconsidéré ou même invisible à force d'habitude et de « normalité ». C'est un inventaire du passé, un tri de l'inutile et de l'utile qui nous devient nécessaire pour nous orienter vers ce nouvel horizon du monde - d'un monde nouveau - pour bâtir ce chemin d'un bienheureux renoncement aux objets et aux pratiques responsables de notre aliénation actuelle, plus nocifs encore que notre inquiétude du virus. Ainsi aurons-nous la surprise de voir la sérénité l’ emporter sur l'inquiétude du manque et de la perte. Ainsi libérer pouvons nous nous libérer de toutes les sources du stress, fortifiés dans notre capacité à dire non, à faire de vrais choix.
Bien sûr dans ce nouveau monde à établir seront chamboulés la place et l'ordre de chacun ; une conversion tout autant des activités des uns et des autres sera nécessaire et doit être réfléchie et pensée. Mais chacun, peut-être, pourra trouver alors plus d'égalité et plus de liberté.
Ce gain possible d'égalité et de liberté n'est pas une vue de l'esprit, ni une douce illusion., mais le simple résultat de l'arrêt de cette course – quant à elle illusoire- aux fausses richesses orchestrée par l'appât du gain et le jeu de la consommation ostentatoire.
Le mécanisme est simple : si je ne cherche plus à être aussi riche ou plus riche que mon voisin, à ne pas désirer avoir une plus grosse ou une plus belle voiture, mais que j'ai simplement à coeur une vie nourrie par la joie des solidarités et du partage que nous découvrons peut-être dans cette situation de confinement ; alors le sentiment d'inégalité ne peut pas naître véritablement et cela me donne une grande tranquillité d'esprit qui est la vraie liberté.
C'est ce cheminement de la pensée que nous ouvre toutes ces considérations au-delà de la peur pour entrevoir un nouvel horizon planétaire de vie « au-delà du virus ». Un texte peut nous y aidé écrit par Bruno Latour, l'un des esprits les plus originaux de notre temps, tout à la fois philosophe, anthropologue et sociologue, attentif à « nos modes d'existence » (https://www.youtube.com/watch?v=YkMiix_vMp4) et leurs évolutions. Il nous propose un outil pour bien discerner tout cela . Il s'agit d'une série de questions à se poser à soi-même et qui déjà nous éclairent sur les perspectives que l'on peut se donner et leurs conséquences. Les lire est déjà une première étape pour comprendre les enjeux, y répondre peut commencer à nous engager sur la voie du changement.
Les questions sont là. Bien posées. Et le temps aussi est là, disponible, et le moment propice pour y répondre tranquillement. Il ne sert à rien de se précipiter et de passer à autre chose, comme pour les oublier. Elles sont là pour qu'on s'en imprègne, pour nous être tout à la fois un cap et une boussole, dans ce travail d'accouchement des réponses qui sont au plus profond de nous-même. Car nous sommes aussi les capitaines de ce navire vers ce nouveau monde ; et notre pensée clarifiée, fortifiée peut alors en gonfler les voiles. Car dans cette situation l'attente d'une réponse qui viendrait « d'en-haut » ne peut que nourrir notre incertitude et de là notre inquiétude. C'est en plongeant ainsi au cœur de nous, de nos aspirations les plus profondes, en identifiant ce à quoi nous tenons, ce qui est le plus précieux pour nous, que nous pouvons toucher cette force de la Confiance qui constitue l'armature même de notre être. Cette Confiance, plus ample qu'une espérance en quelque chose, nous apparaît alors comme l'énergie vitale, l'élan même, nécessaire pour édifier ce nouveau monde à l'exacte mesure de notre humanité vers laquelle paradoxalement nous poussent et le virus et l'expérience du confinement.
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