Philosophos 3 - Spinoza philothérapeute
- Thierry Raffin
- il y a 1 jour
- 14 min de lecture
Dans les deux premiers articles de ce triptyque, je suis passé de l'Antiquité et de toute son épaisseur , et influence sur la philosophie du 20e siècle, à la dérive et la réduction de l'usage de la philosophie non plus dans un souci de soi, au sens antique, mais de développement personnel ; je suis passé du philosophos antique au coach moderne à la manière de Ryan Holiday accommodant les logoïs stoiciens pour en faire des recettes de bien être et d’épanouissement personnel ( ) Là, je voudrais considérer, en m'appuyant sur tout le travail de Jean-Pierre Vandeuren et de son site « Vivre Spinoza » , comment l’œuvre maîtresse du prince des philosophes, l’ «Ethique » peut-être lue comme un manuel (ardu) de libération, de la joie-béatitude-bonheur en nous, d'une véritable métanoïa de l'âme. Voir « Pourquoi philosopher et pourquoi principalement avec Spinoza ? » et aussi son article « Généralités » commençant son blog -
«Il est vide, le discours du philosophe qui ne soigne aucune affection humaine. De même en effet qu’une médecine qui ne chasse pas les maladies du corps n’est d’aucune utilité, de même aussi une philosophie, si elle ne chasse pas l’affection de l’âme» (Epicure)

L‘Ethique de Spinoza : voici un monument, une cathédrale philosophique construite « More geometrico » (https://www.les-philosophes.fr/spinoza/livres-achat/spinoza-ethique.html ), dont la lecture, ardue, nous fait apparaître le propos comme un système. Cependant, l'oeuvre appartient davantage au registre de la philosophie existentielle qu'à celui de la philosophie systémique. Présentant le livre de Maxime Rovère « Spinoza méthode pour exister », Roger Pol Droit écrit dans le monde des livres « Maxime Rovère montre comment l'Ethique n'est pas un édifice théorique, mais un dispositif destiné à rendre possible la transformation du lecteur ». Comme l'écrit lui-même Spinoza dans la petite introduction à la partie 2 de l'Ethique « Nature et origine de l'esprit », il s'agit d'expliquer les choses « qui peuvent nous mener, comme par la main, à la connaissance de l'âme humaine et de sa suprême béatitude » Son ouvrage se présente un peu comme un « manuel », à l'instar de celui de Epictète, mais fondé sur une toute autre manière d'articuler la pensée, au cœur de laquelle, il s'agit de penser là « liberté humaine » à partir de sa « servitude ». Car telle est la gageure, le chemin proposé par Spinoza : définition après définition, proposition après proposition jusqu'à son terme, la scolie de la proposition 42 qui révèle le paradoxe de cette démarche de libération pratique de l'esprit, et qui revêt tant de résonance stoïcienne.
Proposition 42
La béatitude n'est pas le prix de la vertu, c'est la vertu elle-même, et ce n'est point parce que nous contenons nos désirs charnels que nous la possédons, c'est parce que nous la possédons que nous sommes capables de contenir nos désirs charnels.
Scolie de la proposition 42
J'ai épuisé tout ce que je m'étais proposé d'expliquer touchant la puissance de l'âme sur ses affects et la liberté de l'homme. Les principes que j'ai établis font voir clairement l'excellence du sage et sa supériorité sur l'ignorant qui est uniquement conduit par ses désirs charnels. Celui-ci, outre qu'il est agité en mille sens divers par les causes extérieures, et ne possède jamais la véritable paix de l'âme, vit dans l'oubli de soi-même, et de Dieu, et de toutes choses ; et pour lui, cesser de pâtir, c'est cesser d'être. Au contraire, l'âme du sage peut à peine être troublée. Possédant par une sorte de nécessité éternelle la conscience de soi-même et de Dieu et des choses, jamais il ne cesse d'être ; et la véritable paix de l'âme, il la possède pour toujours. La voie que j'ai montrée pour atteindre jusque-là paraîtra pénible sans doute, mais il suffit qu'il ne soit pas impossible de la trouver. Et certes, j'avoue qu'un but si rarement atteint doit être bien difficile à poursuivre ; car autrement, comment se pourrait-il faire, si le salut était si près de nous, s'il pouvait être atteint sans un grand labeur, qu'il fût ainsi négligé de tout le monde ? Mais tout ce qui est beau est aussi difficile que rare.
Dans son introduction, Maxime Rovère écrit que le premier chapitre de son livre collant au plus près de l'intention, de l'ambition de l'Ethique, « s'attache ainsi à poser les bases de transformation que nous souhaitons réaliser, à la fois sur nous-mêmes et dans le monde. En effet, l'expérience montre tous les jours qu'il n'est facile pour personne de faire effort sur soi et d'agir selon son désir. Pour échapper au volontarisme moral , plus destiné à juger qu'à amender, il convient de repenser la manière dont nous pouvons, en nous et hors de nous, articuler les causes et les effets de manière à changer une situation donnée d'abord comme nécessaire. Spinoza permet ainsi de repenser l'opposition entre soi et le monde. De l'un à l'autre, la frontière n'est pas seulement floue, elle est mobile, et le fait de comprendre les choses permet de la déplacer."
Il est à noter que Maxime Rovère en historien de la philosophie sait combien comme le montrait Andrè Voelke (voir philosophos 2) que « à aucun moment, il ne peut être question de plaquer les pensées historiques [ celles de Spinoza ] sur l'époque présente, comme si elles n'étaient pas définies par des horizons problématiques que nous ne connaissons plus. Au contraire il s'agit de recomposer un univers conceptuel singulier dont les perspectives nous permettent d'apercevoir des choses que l'époque présente ne perçoit pas. »
Ainsi, considérer la lecture de l'Ethique comme un manuel du chemin de la Joie, ne signifie pas que l'on puisse y trouver des recettes, des maximes pour régir notre comportement de manière directe et immédiate, mais au contraire un effort de l'intellect, de l'esprit, pour opérer un décentrement qui paradoxalement, même si c'est difficile, nous permet de trouver notre véritable centre. Spinoza lui-même avait-il trouvé la béatitude du sage ? Il est très possible que non, mais son histoire biographique révèle combien ce chemin de l'Ethique qu’il dessinerait, était sans doute l'expression même du chemin qu'il poursuivait pour lui-même, comme il affirme dès le début de son « Traité de la réforme de l'entendement ou de la meilleure voie à suivre pour atteindre à la vraie connaissance des choses », qui se présente comme une sorte de « discours sur la méthode » de Descartes, dans un esprit plus existentiel. Cela démarre ainsi :
"L’expérience m’avait appris que toutes les occurrences les plus fréquentes de la vie ordinaire sont vaines et futiles ; je voyais qu’aucune des choses, qui étaient pour moi cause ou objet de crainte, ne contient rien en soi de bon ni de mauvais, si ce n’est à proportion du mouvement qu’elle excite dans l’âme : je résolus enfin de chercher s’il existait quelque objet qui fût un bien véritable, capable de se communiquer, et par quoi l’âme, renonçant à tout autre, pût être affectée uniquement, un bien dont la découverte et la possession eussent pour fruit une éternité de joie continue et souveraine"
Spinoza menait une vie apparemment simple en tant que réparateur de verres optiques. Il ne faisait pas métier de « philosophe », même s'il était bien reconnu comme tel. Ses besoins étaient peu nombreux et simples. Il fît œuvre tout au long de sa vie d'une rare indifférence à l'argent, refusant récompenses et honneurs, y compris des postes prestigieux d'enseignant – jalous de sa liberté de penser comme le montre le roman que Maxime Rovère consacre au « clan Spinoza »
, dont le préambule dit bien l’éthique du philosophe :
"Les archives, les correspondances, les manuscrits, les livres imprimés, ayant acquis sur Internet une disponibilité jusqu’alors inédite, ont permis aux historiens d’étudier ce que les précédentes biographies de Spinoza laissaient seulement deviner : la présence à ses côtés d’hommes et de femmes exceptionnels, dont les élans sont inséparables des siens. Le parcours et les pensées de Spinoza sont ainsi devenus la trame d’étonnantes métamorphoses. À travers l’individu, il est devenu possible de montrer la naissance et la mort d’une créature qu’il considérait comme la partie la plus noble de lui-même. Cet être vous semblera abstrait si je lui donne pour nom la Raison Moderne ou la Philosophie ; mais en lui restituant son vrai visage, composé d’hommes et de femmes qui ont vécu et travaillé ensemble, aimé ensemble, voyagé ensemble, qui se sont éloignés, retrouvés, puis séparés sans cesser de se vivre ensemble, j’ai voulu faire percevoir combien chacun d’entre nous peut retrouver en elle – en ce qu’on appelle la Raison ou la Philosophie – ce qui fait le goût et la valeur de l’existence humaine."
Le Clan Spinoza, Rovere, Maxime
Dans la préface d'un autre livre « Spinoza par ses amis », Maxime Rovère écrit aussi « Pratiquant la philosophie en groupe, ne cessant d'échanger des lettres et de partager des expériences avec ses proches ( en chimie, en physique, en optique, au théâtre et cetera ), Bento de Spinoza n'a jamais été, il n'a même jamais souhaité devenir, le maître de quiconque. Pour garder intact l'élan et la fraîcheur de la pensée, il a même recommandé à ses amis de ne pas écrire son nom en tête des textes qui leur a confié. Car, selon lui, le volume des Opera posthuma contient des choses dont les enjeux dépassent de loin le travail d'un auteur. Dans ce qu'il a parlé dans ce qu'il a parfois appelé « notre philosophie », ce qui est bon ne lui appartient pas ; il s'agit d'une chose qui a couru parmi ces groupes d'amis tel un furet à travers bois, une chose qui circule partout dans le monde et qui ne peut être la propriété de personne, les hommes du 17e siècle ne rougissent pas de l'appeler... La vérité.[…]Qui sait, après tout, si les textes de Jellesz Meyer ses amis ne pourraient pas en définitive, faire partie des des « œuvres de Spinoza » ? Cette question engage si profondément la définition de la philosophie, elle permet de montrer l'époque moderne sous un jour si exotique comparé à notre approche contemporaine, qu'elle en devient un véritable voyage. […]
Et ce silence [ effacement de son nom ] vise moins à masquer une identité, à déjouer la censure ou à ne pas indisposer ceux à qui l’auteur serait déjà antipathique, qu’à créer un effet d'effacement, pareil à une marée qui se retire, invitant les lecteurs à faire eux-mêmes leur chemin. Il porte le rêve d'une philosophie immédiatement disponible à l'appropriation, qui parlerait sans entrave d'un esprit à l'autre, qui ne serait donc pas la-philosophie- de-Spinoza parce que les enchaînements qu'on y lirait organiserait des pensées qui ne renverraient pas à un homme (si génial qu'on se le figure) mais à soi-même ».
Même si le clan Spinoza fomente une philosophie de la Libération pour qui veut entreprendre le précieux chemin , « aussi difficile que rare », Spinoza est sans illusion et Maxime Rovère lui fait dire: "— Mes amis, nous jouons une partie sans récompense, sans gain, sans rien. Nous ne nous débarrasserons pas des humains tels qu’ils sont. Nous ne les amenderons pas, nous ne les instruirons pas. Ils continueront éternellement de se nuire par leur sottise, manipulés par leurs passions. Nous essaierons encore, ils s’opposeront encore et ils auront gain de cause. Jamais, vous entendez, les gens de bien ne seront ni les plus forts, ni les plus nombreux. Voilà ce que signifie cette phrase de Sénèque, la vertu est sans récompense. Inutile de nous rêver en capitaines de l’humanité."
Le Clan Spinoza, Rovere, Maxime
Si ceux qui font l'effort de lire l'Ethique, peuvent espérer marcher dans les pas de Spinoza, quid de tous ceux qui continueraient à faire figure d’« insensés » dans les termes des stoïciens antiques? Pourraient-ils être pris en charge par un « philothérapeute » qui prendrait son inspiration thérapeutique dans l'Éthique de Spinoza ? C'est ce que Jean-Pierre Vandeuren préconise dans son blog « Vivre Spinoza » et écrit en conclusion de son article « pourquoi philosopher et pourquoi principalement avec Spinoza ? »
"La psychologie de Spinoza, tout en étant universelle, permet de partir de la subjectivité de l’individu, de ses propres sentiments, sa philosophie peut ensuite analyser abstraitement les idées qui constituent ces sentiments et les rendre claires et précises pour ensuite les « réinjecter » dans les sentiments et ainsi les recréer sur la base de la raison, « reconstruisant » la psychologie de cet individu. Notre approche spinoziste réconcilie harmonieusement la psycho- et la philo-thérapie en une seule approche des problèmes existentiels.Voilà pourquoi nous philosophons principalement avec Spinoza."https://vivrespinoza.wordpress.com/2012/03/07/pourquoi-philosopher-et-pourquoi-principalement-avec-spinoza/#:~:text=La%20psychologie%20de,principalement%20avec%20Spinoza.
Dans un autre article, le premier d'une série de 7, il précise même la spécificité d'un philothérapeute qui s'appuierait sur l'Ethique pour aider ceux qui viennent le consulter. Alors qu'un philothérapeute classique cherche à répondre au problème existentiel en guidant celui qui a perdu ses repères à « mieux penser » avec philosophie; le philothérapeute spinoziste « est dès lors un serviteur qui prend soin de l'amour (en grec philo signifie aimer ), ce qui est le sens étymologique. Il cite alors Spinoza qui au début du traité de la réforme de l'entendement déclare après avoir énuméré au paragraphe précédent tous les maux dont souffrent les hommes, que ces maux proviennent « de ce que toute notre félicité et notre misère dépendent de la seule qualité de l'objet auquel nous sommes attachés par amour » Spinoza précise plus loin dans le paragraphe suivant : « mais l'amour d'une chose éternelle et infinie nourrit l’âme d'une joie sans mélange et sans tristesse, ce qui est très désirable et mérite qu'on le recherche de toutes ses forces. » La question que pose Jean-Pierre Vandeuren est alors« mais concrètement comment appliquer cette thérapie spinoziste aux souffrances existentielles ? »Pour lui, la force de l'explication spinoziste de l'Etre de l'homme et de son mal-être, et donc l'efficacité d'une consultation philo thérapeutique spinoziste, tient justement au fait que la description des affects s'inscrit dans « un cadre ontologico-anthropologique contenu dans les deux premières parties de l'Ethique » (article 2 ) ; c'est-à-dire cette idée que rien ne transcence le monde (il n'y a pas de hors monde). Tout est dans la nature. Dieu est la nature (« Deus sive Natura ») ; et « l'homme n'est pas un empire dans un empire ». L'homme fait partie de la nature, et tout ce qui lui arrive est déterminé, même s'il n'en est pas toujours conscient et peut même aller jusqu'à le nier.
"les hommes sont conscients de leurs désirs et ignorants des causes qui les déterminent".
Toute notre joie et notre puissance d'agir tiennent au travail de connaissance que nous pouvons faire pour rendre nos idées « adéquates » . Cette notion d'adéquation est au coeur même du chemin de libération ; et le philothérapeute spinoziste est celui alors qui tient par la main celui qui le consulte afin que ces idées deviennent adéquates c'est-à-dire qu'il devienne « actif », ne soit plus « passif »,, affecté de passions tristes (mal-être).Comme le signale, Jean-Pierre Vandeuren dans l'article « Spinoza et la causalité », « toute la pratique de l'éthique à pour principe que le fait de penser peut transformer le rapport causal de l'homme au monde ». L'anthropologie spinoziste repose en effet sur cette définition de l'homme comme « être de désir » . Comme tous les vivants, l'homme est déterminé dans sa nature à tout entreprendre afin de persévérer dans son être (« conatus »), avec cette spécificité qu'il a l'idée de cette appétit, que Spinoza appelle alors « désir ». Le désir est c'est l'expression du conatus chez l'homme.
« Cet effort, quand il se rapporte exclusivement à l'âme, s'appelle volonté ; mais quand il se rapporte à l'âme et au corps tout ensemble, il se nomme appétit. L'appétit n'est donc que l'essence même de l'homme, de laquelle découlent nécessairement toutes les modifications qui servent à sa conservation, de telle sorte que l'homme est déterminé à les produire. De plus, entre l'appétit et le désir il n'y a aucune différence, si ce n'est que le désir se rapporte la plupart du temps à l'homme, en tant qu'il a conscience de son appétit ; et c'est pourquoi on le peut définir de la sorte : Le désir, c'est l'appétit avec conscience de lui-même. Il résulte de tout cela que ce qui fonde l'effort, le vouloir, l'appétit, le désir, ce n'est pas qu'on ait jugé qu'une chose est bonne ; mais, au contraire, on juge qu'une chose est bonne par cela même qu'on y tend par l'effort, le vouloir, l'appétit le désir. »
scolie de la proposition 9 Ethique III
Tout le travail philothérapeutique consiste à prendre conscience - connaissance des raisons de nos affects, afin de pouvoir agir véritablement, c'est-à-dire être actif, donc libre de nos actions, libéré de nos passions. Un rapprochement peut alors être fait entre son soin philothérapeutique spinoziste et la cure psychanalytique, qui toutes deux relèvnt d'une éthique du désir. La scolie de la proposition 9 de la partie 3 de l'Ethique sur « l'origine et la nature des sentiments », dévoile le sens du désir, et le contresens qu’on lui prête lorsque les idées sont inadéquates. Le désir qui fait partie intégrante du plan même de la nature, de notre nature est donc premier et informe nos sentiments.
Ainsi pour Spinoza , il n’y a pas une nature humaine séparée du reste de la nature, en sorte que nos troubles et nos travers affectifs trouveraient leur cause dans « quelque vice de la nature humaine ». Ceci est très clairement dit dans la préface de la 3ème partie de l’Ethique, « de l’origine , de la nature des sentiments ».
Quand on lit la plupart des philosophes qui ont traité des affects et de la conduite des hommes, on dirait qu'il n'a pas été question pour eux de choses naturelles, réglées par les lois générales de l'univers, mais de choses placées hors du domaine de la nature. Ils ont l'air de considérer l'homme dans la nature comme un empire dans un autre empire. A les en croire, l'homme trouble l'ordre de l'univers bien plus qu'il n'en fait partie ; il a sur ses actions un pouvoir absolu et ses déterminations ne relèvent que de lui-même. S'il s'agit d'expliquer l'impuissance et l'inconstance de l'homme, ils n'en trouvent point la cause dans la puissance de la nature universelle, mais dans je ne sais quel vice de la nature humaine ;
[…]
Rien n'arrive, selon moi, dans l'univers qu'on puisse attribuer à un vice de la nature. Car la nature est toujours la même ; partout elle est une, partout elle a même vertu et même puissance ; en d'autres termes, les lois et les règles de la nature, suivant lesquelles toutes choses naissent et se transforment, sont partout et toujours les mêmes, et en conséquence, on doit expliquer toutes choses, quelles qu'elles soient, par une seule et même méthode, je veux dire par les règles universelles de la nature
[...]
Je vais donc traiter de la nature des affects, de leur force, de la puissance dont l'âme dispose à leur égard, suivant la même méthode que j'ai précédemment appliquée à la connaissance de Dieu et de l'âme, et j'analyserai les actions et les appétits des hommes, comme s'il était question de lignes, de plans et de solides.
On le lit dans ce texte même , si les anthropologie spinoziste et psychanalytique situent l'une et l'autre le désir au cœur de l'homme, leur mode opératoire thérapeutique s'oppose sur la question du statut de la conscience par rapport à l’inconscience.Chez Spinoza nulle trace d'inconscient de type freudien qui imprimerait sa marque à l'expression de la conscience ; l'enjeu pour Spinoza, et les philothérapeutes, est de faire advenir à la conscience la connaissance des causes ; cette « simple » opération suffit à l'homme de raison à réorienter son désir vers des affects vertueux ( positifs ?) conformes à la nature. Chez Spinoza la raison thérapeutique s'exprime dans la substitution d'une passion triste par passion joyeuse ; là est le chemin de la libération, de la joie. « Un sentiment ne peut être contrarié ou supprimé que par un sentiment contraire et plus fort que le sentiment à contrarier »
Cette question du rapport de Spinoza au cadre de pensée psychanalytique qui est étranger à son temps est examiné tout au long d'un ouvrage collectif coordonné par André Martins et Pascal Sevérac (auteur de « le devenir actif chez Spinoza » https://www.la-philosophie.fr/article-10604887.html ) « Spinoza et la psychanalyse » https://lis.u-pec.fr/publications/spinoza-et-la-psychanalyse
Dans le compte-rendu critique qu’il fait de cet ouvrage Jean-Pierre Marcos interroge l'efficacité thérapeutique du simple passage de l'ignorance à la connaissance des causes de ces troubles.
"La convertibilité de la passion en activité en raison de l'intelligibilité advenue de sa cause et ce, sous l'égide de l'amor erga Deum (amour envers Dieu) l'amor intellectualis Dei, ne suffirait jamais cliniquement à libérer la puissance créatrice d'un sujet. Savoir enfin pourquoi on souffre ne délivre en effet jamais du désir de répéter, pour son propre malheur, ce qui nous a fait tant souffrir.
C'est là le présupposé de la cure psychanalytique qui a réélaboré en ce sens la notion antique de « catharsis », qui signifie étymologiquement « opération de séparer » le bon du mauvais, dans un souci de purification, et qui et qui vise en particulier une purgation des patients. Chez Platon, elle est le pouvoir de séparer l'âme de son ignorance. Dans un passage du « Sophiste », Platon utilise une métaphore médicale pour établir la catharsis comme technique pour réfuter ou rejeter des idées fausses. Spinoza inscrit son approche de la libération des affects dans cette interprétation. Pour Freud, et ensuite dans le cadre psychanalytique, la catharsis « C'est la prise de conscience par laquelle un sujet se remémore un événement traumatique passé, le revit puis le dépasse dans le cadre d'une cure psychanalytique. La catharsis repose sur l'abréaction des affects liés au traumatisme, c'est-à-dire la décharge émotionnelle qui accompagne la prise de conscience. La catharsis est ainsi le processus, parfois émotionnellement violent, au travers duquel le sujet se libère du refoulement. La catharsis est le premier pas nécessaire d'une mise à distance, ou d'une objectivation du trauma qui peut aboutir à un véritable processus de perlaboration17 de l'événement, c'est-à-dire son intégration, par les moyens du langage, dans l'histoire du sujet. » (Wikipédia)
Pour démêler plus avant les écarts et les proximités entre l'approche psychanalytique et l'approche spinoziste des troubles de « l'âme-esprit » sans doute faudrait-il alors approfondir cette question de l'impact des mots (mais aussi des images) sur les maux. Ceci conduirait aussi à faire le lien entre connaissance intellectuelle et compréhension véritable à la lumière de ce que Spinoza appelle la connaissance intuitive mais c'est la sans doute un autre article…
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