Philosophos 1 – Le temps des thérapeutes
- Thierry Raffin
- 6 juin
- 15 min de lecture
Avec un titre pareil on se doute bien que l'article va parler de philosophie. Qu'est-ce que philosopher ? Qu'est-ce qu'un philosophe ? Il ne s'agit pas là de « disserter », mais de suivre et comprendre ce qui peut interroger dans une de telles interrogations, à la lumière de quelques livres qui explorent l'étendue du « philosopher », de l' « être philosophe » ; arpentant la distance qui sépare notre propre rapport à la philosophie de ce que l'on en comprenait dans l'épaisseur même de l'antiquité, moment d’émergence de la philosophie.
C’est l'occasion aussi de revenir sur les rapports entre le « philosopher » et le « méditer » au carrefour des « philosophies orientales » et en particulier d'une notion au cœur du travail de libération proposée par Ramana Marharshi pour connaitre la Réalité - « Vichãra » , l'investigation, qu'il confronte à la méditation (Dhyana comme contemplation). Le détour-voyage par l'Inde de Appolonios de Tyane, figure emblématique du philosophos antique, comme thérapeute, permet de comprendre comment le désir de la Connaissance Ultime constitue le philosophe dans sa lutte contre l'ignorance, source de tous les maux.
Cette interrogation du « philosophos », conduit aussi à revenir sur une notion développée par Michel Foucault, dont on a déjà parlé - « le souci de soi », mais aussi sur les recherches de Jean-Yves Leloup autour de « prendre soin de l’Etre » qui fondent encore aujourd'hui certaines pratiques marginales psychothérapeutiques de la philosophie en lieu et place du « Prozac ». Ce qu’on verra dans la 2ème partie de cet article (Philosophos 2 – le temps des coach - à venir).

« Philosophos » ! Pourquoi intituler ainsi cet article (en trois parties) plutôt que simplement « philosophie » ? Pour dire que le philosophe (philosophos en grec) ne saurait être réduit à la figure académique que son nom évoque aujourd'hui. L'épaisseur de l'histoire, l'archéologie de ses origines, donnent une toute autre consistance, une toute autre portée et résonance au rôle éthique et existentiel du philosophe alors, allant au-delà d'une capacité intellectuelle à manier les concepts et à produire des constructions théoriques savantes. « Philosophos » évoque une dimension essentielle de son rôle qui est de constituer un viatique pour le chemin de la vie pour ceux qui s' adonnent à cette pratique et professent à autrui une parole de Lumière.
Qu'est-ce qui fait du philosophe un philosophe ? Aujourd'hui le « vrai » philosophe est celui qui en possède le titre sanctionné le plus souvent par un diplôme de fin d'étude philosophique. Mais là déjà une hiérarchie peut s'établir entre le licencié et l'agrégé, celui qui est véritablement intégré à la catégorie des producteurs académiques de la philosophie. On le voit il y a un « champ de la philosophie » au sens de Pierre Bourdieu (philosophe de formation et sociologue reconnu par ailleurs). Cependant le champ élargie ne contient-il pas aussi ceux qui sont (simplement) « amoureux de la philosophie », qui en sont des lecteurs critiques assidus, voir qui intègrent au mieux dans leur vie des préceptes et des attitudes de vie philosophique ? Aussi pourrais-je me demander si je suis philosophe ? Qui peut le dire ? La Société des agrégés ? Alors certainement ne le suis-je pas. Pourtant ceux qui me connaissent et lisent mes articles, me voient vivre et professer des propos raisonnés sur le sens de l'existence qui me font apparaitre philosophe. Et pour ma part, je ressens au fond de moi par toutes ces questions que je développe sur la vie et le monde, cet « être philosophe ».Dans la continuité de mes lectures sur les voies de recherche de la Réalité au-delà de l'illusion phénoménale, qui m'ont conduit à approfondir le « je » des émotions dans l'être au monde et de là la critique de ceux qui pensent le stoïcisme comme école de l'indifférence et de l'apathie émotionnelle, j'ai découvert les travaux passionnants de Pierre Vesperini sur Marc Aurèle, dans son livre « Droiture et mélancolie. Sur les écrits de Marc Aurèle » (https://www.philomag.com/livres/droiture-et-melancolie-sur-les-ecrits-de-marc-aurele) .
Pour lui, Marc Aurèle présenté comme philosophe de la pensée antique n'aurait été ni stoïcien, ni encore moins philosophe ; contredisant ainsi toute une tradition et une histoire de la philosophie, et en particulier contestant les interprétations reconnues de Pierre Hadot et de Michel foucault. Voilà qui mérite examen. Comment comprendre ce dissensus ? Que peut-il nous dire de l'évolution de notre rapport à la philosophie et plus largement du rapport de la pensée à l'être ? Pierre Vesperini distingue les philosophes « professionnels » - sous-entendu les « vrais » philosophes-, des philosophes qui incluraient toutes sortes de ce que nous appellerions aujourd'hui des « intellectuels », nourri dans l'Antiquité des humanitas, de la rhétorique, de la philosophie, intégrant alors aussi les sciences et la médecine. Ce faisant ne s’appuie-t-il pas sur notre définition actuelle de la philosophie qui s'est historiquement organisée en champs académique, avec en son cœur la « masse » des enseignants en philosophie, eux mêmes anciens élèves des « philosophes » c'est-à-dire ayant fait leurs classes de philosophie.
Aujourd'hui, la philosophie fait bien sûr aussi l'objet de définitions concurrentes dans les affrontements conceptuels et les interprétations savantes de l'histoire de la philosophie. Pour autant un large consensus se fait autour de l'idée générale que philosopher, c’est penser par soi-même, c'est-à-dire savoir développer un esprit critique au regard des énoncés et des événements de la vie quotidienne, de la vie politique, mais aussi de sa propre vie. Est-ce à dire que tous ceux qui font usage un usage constant de cette capacité à réfléchir leur vie, leurs engagements, leurs affects, leurs raisons peuvent être dit philosophes ou au contraire le titre doit-il être réservé à ceux qui auraient pour ainsi dire leur carte professionnelle, et ferai ent de l'exercice de la philosophie leur métier, en tant qu'enseignant d'oeuvres et des auteurs philosophiques ?Deux vision de la philosophie et de l'être philosophe s'affrontent ici. À propos de Marc Aurèle, empereur stoïcien, Pierre Vesperini conteste les vues de Pierre Hadot développées dans « Qu'est-ce que la philosophie antique ? ». Pour Vespérini en effet, faire de Marc Aurèle un philosophe stoïcien « dans la lignée de Sénèque et de Epictète, même si cela paraît être aujourd'hui la thèse admise, est une erreur ; car on ne peut voir en réalité dans « les écrits pour moi-même », un texte philosophique , c'est-à-dire un texte dans lequel l'auteur pense, médite, fait de la théorie, à partir de la doctrine stoïcienne et de ses concepts » (Droiture et mélancolie ; page 15)Pour Pierre Vesperini «Les écrits de Marc Aurèle » sont un témoignage exceptionnel d'une pratique courante dans l'Antiquité, consistant à s'adresser à soi-même ou à adresser à des amis des discours issus de la philosophie (logoï philosophique) dans le but de débarrasser le destinataire d'un affect (pathos) dégradant -peur, colère, désespoir, deuil, désire incontrôlable - de façon à le maintenir dans la route de la vertu. Cette vertu n'avait rien de « spirituel ». Seule une méthode procédant par analogie téléologique donc a-historique as pu faire de l'éthique des anciens une éthique consistant en « exercices spirituels » . Si l'on veut définir l'éthique anciennes avec les mots anciens on parlera d'orthopraxie. » (Droiture et mélancolie ; page 17)
«« Rester droit », cela signifie donc non pas vivre en philosophe stoïcien, mener le mode de vie stoïcien, mais comme Marc Aurèle ne cesse de le répéter vivre en romain, en citoyen, en mâle, en homme » (Droiture et mélancolie ; page 26)
Reste que Pierre Vesperini ne peut contester que les logoïs stoïciens, les préceptes stoïciens ( éléments de discours), constituent la trame principale des écrits de Marc Aurèle, que pour lui ceux-ci lui commandent un mode de vie tel qu'il remplisse ses devoirs d'empereur romain et d’homme. il ne s'agit donc pas simplement d'être empereur et homme, mais de l'être comme à la manière des stoïciens, selon leur éthique bien caractérisée. On retrouve bien là au-delà du désaccord que Pierre Vesperini met en scène, les éléments défendus par Pierre Hadot, sur le rapport entre discours philosophique et mode de vie. Pierre Hadot ouvre ainsi son livre « Qu'est-ce que la philosophie antique ? » par quelques citations, dont l'une de Kant qui est la figure par excellence du philosophe en sens moderne, intéressante à rappeler :
«Les anciens philosophes grecs, comme Épicure, Xénon, Socrate, et cetera … sont restés plus fidèles à la véritable idée du philosophe que cela ne s'est fait dans les temps modernes. Quand vas-tu enfin commencer à vivre vertueusement, disait Platon à un vieillard qui lui racontait qu'il écoutait des leçons sur la vertu. Il ne s'agit pas de spéculer toujours, mais il faut aussi une bonne foi. Mais aujourd'hui on prend pour un rêveur celui qui vit d’une manière conforme à ce qu'il enseigne. »
Et il y a aussi cette citation de Epictète, qui est au cœur des logoïs de Marc Aurèle :
« Si les théories philosophiques te séduisent, assied-toi et retourne les en toi-même. Mais ne t'appelle jamais philosophe et ne souffre pas qu'un autre te donne ce nom. »
Peut-on penser que Marc Aurèle ne fait que tourner dans sa tête des préceptes sans chercher à les appliquer ? Non sans doute. Les biographes disent bien comment dès son plus jeune âge, il cherchait à mettre en œuvre les principes dont ses précepteurs le nourrissaient et en particulier les éléments de doctrine stoïcienne. Qu'il ait pu le faire tout le temps non sans doute, son rôle d'empereur romain pouvait être certainement être source de contradictions, et pour cette raison de troubles de l’âme. Mais si, comme pour toutes les écoles philosophiques antiques, il s'agit bien d'être à la recherche de la sagesse ; pour les stoïciens il s'agissait là aussi d'un objectif difficile à réaliser véritablement, car de l'ordre de la transcendance divine, au point que l'on pouvait douter qu'un seul sage ait pu exister - tous les hommes étant plus ou moins des « insensés ». Le sage reste néanmoins une figure d'espérance, dont la réalisation passe par la philosophie, c'est-à-dire la mise en œuvre de la vertu. Pour Marc Aurèle, et pour bien d'autres Romains, celle-ci est devenue de plus en plus d'obédience stoïcienne, en particulier à son époque. Comme le montre bien Jacques Étienne dans son article « Sagesse et prudence selon le stoïcisme », « le sage stoïcien est l'homme idéal, sorte de logos terrestre. Sa grandeur et sa beauté parce que légendaire révèlent la vérité ultime de l'homme ; et ce que les stoïciens dressent devant nous, peut-être sans le savoir, c'est un mythe, le mythe du sage ». Citant Sénèque, dans une lettre à Lucilius :
«Les dieux ne sont ni dédaigneux, ni jaloux : ils ouvrent les bras, ils tendent la main à qui veut s’élever jusqu’à eux. Tu t'étonnes que l'homme puisse monter jusqu'à Dieu ! C'est Dieu qui descend jusqu'à l'homme, que dis-je? la relation est plus étroite, il entre dans l'homme. Il n'est aucune âme bonne sans Dieu » ( lettre 73 à Lucilius).
On comprend qu'une telle approche ait pu, via les pères de l'Eglise, se distiller dans le christianisme, religion du Dieu incarné, jusque chez Pascal et son « apologie » : « Misère de l'homme sans Dieu et grandeur de l'homme avec Dieu ».Comment contester alors comme le fait Pierre Vesperini la dimension intrinsèquement spirituelle du stoïcisme ; et l’on ne peut que se demander comment à en répéter les sentences Marc Aurèle aurait été exempt de cette spiritualité particulière ?Dans la philosophie antique, le philosophe est bien celui qui cherche à articuler le discours philosophique et le choix conscient et déterminé d’un mode d’ existence, comme l’affirme Pierre Hadot dans l'avant-propos « Qu'est-ce que la philosophie antique ? » : « L'objet de ce livre est bien d'examiner comment la philosophie est à la fois et indissolublement discours et mode de vie qui tendent vers la sagesse sans jamais l’atteindre »
Le discours n'est donc pas strictement théorique, il possède « un aspect pratique dans la mesure où il tend à produire un effet sur l'auditeur ou le lecteur. Quant au mode de vie, il peut être, non pas théorique évidemment, mais théorétique c'est-à-dire contemplatif ».
Dans cette mise en avant des effets pratiques du discours, on retrouve ce que notre modernité reconnaît dans l'usage de la PNL - la programmation neuro-linguistique - c'est-à-dire la reconnaissance de l'efficacité du langage associé à nos modes de représentation, de description-interprétation de ce qui se donne à nos sens, et qui peuvent influer sur notre réalité et notre rapport aux événements et aux êtres qui constituent notre environnement, notre existence, du fait de notre double flexibilité neuronale et comportementale. En reprenant ainsi les fondamentaux de la PNL, (les quatre positions perceptives https://www.france-pnl.com/positions-de-perception/ ), on pourrait montrer que les préceptes des logoïs stoïciens en constituent aussi la base. Sans doute trouvons-nous là les raisons pour lesquelles, philosopher au sens antique du terme, c'est d'abord adopter une manière de se comporter, - donc développer une attention à soi-même, au jeu de nos émotions et de nos réactions, pour bien agir en correspondance, en harmonie avec les autres ; c'est-à-dire prendre conscience du jeu des interactions dans lesquelles nous sommes pris, pour cultiver l'inter-être.
Nous pouvons retrouver là toutes les considérations que j'ai pu développer dans l'un de mes derniers article « Stoïque » et d’autres articles à venir : le « je » des émotions , Wu Weï -l’agir non-agir )
Pour aller plus loin, il est possible de faire aussi un lien vers certains modes du philosopher antique, en particulier le stoïcisme ; et les psychothérapies, à la fois telles qu'elles étaient déjà pratiquées à l'époque antique, et ses formes contemporaines comme les TCC (Thérapies Cognitives et Comportementales) et la PNL comme on vient de le voir. Dans un livre d'une grande intensité, « Prendre soin de l'Etre », Jean-Yves Leloup entreprend toute une réflexion sur le sens même du terme de « thérapeute » tel qu'il apparaît dans la production philosophique antique. Le terme « thérapeute » possède deux sens qui s'articulent autour du soin et de la guérison. C'est tant l'attention au corps ( qui oriente le sens vers le médical) que l'attention à l'âme (qui oriente le sens du côté religieux). Jean-Yves Leloup fait référence aux pensées de Marc Aurèle :« chez Marc aurèle, il suffit à l'homme qui met d'être attentif à la seule divinité qui habite en lui et l'entourer d'un culte sincère (thérapeuien) ». Ce culte, la thérapia, c'est alors, « se garder pur de toute passion, de l'irréflexion et de l'humeur pour ce qui vient des dieux et des hommes » ( Pensées pour moi-même II, 13 )
Cette référence au « démon intérieur ( Daïmon) » auquel il faut rendre un culte, apparaît souvent aux commentateurs des pensées, énigmatique. Dans un texte particulièrement éclairant Frédérique Ildefonse revient sur cette question de « la multitude intérieure chez Marc Aurèle » (https://shs.cairn.info/revue-rue-descartes-2004-1-page-58?lang=fr ), en notant à la suite de Michel Foucault qu’avec le stoïcisme Imperial apparaît « l'intériorité » (ce qui est contesté on l'a vu par Pierre desperini).
Cependant elle attire l'attention sur le fait qu'il ne s'agit pas simplement d'un rapport à un « soi-même » psychologique, transparent. Le « souci de soi » foucaldien est un véritable soin au sens de culte d'attention, de vigilance à une instance en soi, partie de soi mais qui est aussi dépassement de soi, qui serait comme le lieu de sa transformation. Ainsi traduit-elle elle-même les « écrits de Marc Aurèle » pour montrer combien cette nouvelle intériorité identifiée est une intériorité multiple et complexe. On comprend là, l'entreprise philosophique comme une véritable entreprise thérapeutique.
« Il n'est pas pour l'homme de retraite plus tranquille ni plus débarrassé d'affaires que sa propre âme, et surtout quand on possède à l'intérieur tout ce qu'il faut pour arriver, à condition d'y porter son attention, à cette aisance facile, qui n'est qu'un autre nom de l'ordre. Accorde-toi donc continuellement cette retraite ; renouvelle-toi ; et les formules brèves, élémentaires qui dès qu'elle se présentent, suffiront à écarter tout chagrin et à te renvoyer sans irritation aux affaires quand tu y reviens. » (Citation Marc Aurèle IV, 3)
Tous ces écrits à soi-même, que Pierre Hadot interprète comme des « exercices spirituels » montrent bien par les tonalités qu’ils prennent, comment un pont s’opère entre philosophie, dévotion et thérapie. Le soin de « soi-même » qui passe par le culte du démon intérieur (ou tout autre nom qu’on peut lui donner : le maître intérieur, la divinité, la raison, Dieu...) fait bien penser ici à la litanie de l'Adventa Vedenta que reprend constamment dans ses enseignement Ramana Maharshi, de la réalisation de soi, qui est un au-delà de l'ego, sa dissolution même, pour toucher l’Etre en soi. Jean-yves Leloup dans « Prendre soin de l'être », ainsi que dans ses écrits sur Philon d'Alexandrie, un philosophe juif hellénisé, contemporain mais ignorant de Jésus-Christ, interprétant la Bible à travers la philosophie grecque et en particulier Platon et les stoïciens, (et qui inspirera les « pères de l'Eglise » - Origéne, Augustin... ), définit d'abord les thérapeutes comme des philosophes, des hommes et des femmes qui aiment la sagesse. Il précisera par ailleurs qu’ils sont les « vrais philosophes », « c'est-à-dire qu'ils ne se contentent pas de discourir sur tel ou tel sujet comme le font les sophistes, ils s'efforcent de conformer leur agir à leur pensée et leur pensée à leur être profond »
Le thérapeute selon Philon prend soin indissolublement du corps et de l'âme, et vise ainsi l'Etre dans l'homme. Jean-Yves Leloup précise « l’Ettre dont parle Philon ici, est un Autre, une autre Conscience, une Autre Vie ».
Dans « La sagesse qui guérit » où il cherche à élargir son analyse des thérapeutes d'Alexandrie, Jean-Yves Leloup fait des liens entre ces pratiques philosophico-thérapeutiques et les sagesse orientales.
« Dans les traditions orientales, il est dit qu’Avidyã - l'ignorance - est la source de tous les maux, aussi bien physiques que psychiques et cosmiques. Avidyã veut dire exactement la même chose que « absence de vision ».
"On ne parlera pas alors seulement de santé ou de salut, quand par la reconnaissance on retrouve notre intimité avec le soi, avec le réel infini, on parlera d'éveil, de sortie de l'ignorance cause de notre malheur, c'est-à-dire de notre identification avec notre être-pour-la-mort, être-pour-la-mort qu'il ne s'agit pas de nier, puisqu'il est lui-même une manifestation de l'être non créé »
Comment ne pas citer à Appolonius de Tyane comme philosophe et thérapeute voyageant d'Occident en Orient, sur les traces de Pythagore dont il développer la philosophie. Maxime Rovère dans son dernier ouvrage -« Le livre de l'amour infini. Vie d’Apollonios, homme et Dieu ». Comme le décrit sa présentation éditoriale ce « livre de l'amour infini », donne à voir l'extraordinaire portée des spiritualités anciennes et réhabilite l'un de ces maîtres injustement oublié, est le roman (philosophique) vrai de l'Antiquité ». De retour à Rome après ses échanges avec les perses, les bouddhistes, les nubiens, Apollonios multiplie les enseignements et les guérisons au point d'être considéré par les oracles et les populations comme un homme divin.
Maxime Rovère présente son roman « de la vie d'Apollonios comme un voyage philosophique à la découverte de soi-même » (voir YouTube https://www.youtube.com/watch?v=YPUE7xYbTY0 )
Au début de son récit, Maxime Rovère interroge le « philosophos », rappelant que Apollonios « suivait scrupuleusement les préceptes de Pythagore, et ne vivait pas autrement que comme un authentique philosophe, qu'il avait même entre 16 et 21 ans accompli seul et sans contrainte l'obligation de silence exigée par la règle de pythagoriciens ». Apollonios interroge Damis, celui qui de serviteur traducteur qui va l'accompagner dans ses voyages de longues années et va devenir son disciple : « dis-moi d'abord Damis pourquoi ne t'es-tu jamais intéressé à la philosophie ? […] Quand Pythagore a inventé le mot philosophos, ami de la sagesse, il ne voulait pas dire qu’il se plaçait à un niveau inférieur à un sophos, un sage qui la posséderait. Il a voulu souligner une différence entre les savants qui ont des connaissances spécifiques, les tekhnès sophoi, et ceux qui s’intéressent au savoir lui-même, les philosophoi. Un philosophe n’est pas un homme qui ne sait rien, mais un savant dont l’objet est le savoir. »
Damis — Alors, selon toi, les philosophes ne sont pas sur le chemin de la sagesse ?Appolonios — Si, mais ils veulent l’obtenir par la voie de la connaissance.
Reste à savoir ce qu’on appelle connaissance, et même ce qu’on entend par obtenir. Moi, j’attends de ce voyage une profonde transformation de moi-même. Oui, répéta-t-il d’un air songeur, une profonde, profonde transformation."
La dimension philosophique du voyage d'Apollonios s'exprime en Inde dans son écoute des enseignements de dame Namdã, la nonne qui dirige le monastère bouddhiste dans lequel il est accueilli et dont la trame reprend les questions ou les entretiens de Mélinda (https://bouddhismes.net/index.php?option=com_content&view=article&id=70:entretiens-de-milinda-et-nagasena-edith-nolot )
Suite aux enseignements de dame Namdã Apollonios interroge: « en quel sens sommes-nous des dormeurs ? si le monde n'est que l’amas de phénomènes éphémères, pourquoi le caractère passager des agglomérats les priveraient-ils de toute réalité ? » "— Le monde ne vient de nulle part, reprit-elle, ne va nulle part et ne demeure pas vraiment. Si tu te laisses pénétrer par cette sagesse où toute dualité est pacifiée, tu passeras au-delà de l’être. Au lieu de rester pris dans l’existence substantielle de la personne ou des agrégats, tu verras que la vérité même n’est pas une chose distincte de la non-vérité, et tu pourras alors contempler librement la production des opposés qui s’engendrent les uns les autres.
Un vaste silence s’ensuivit."
"Lors des nombreuses leçons qu’elle nous donna, dame Naṃdā nous enseigna la vacuité de toutes choses, tout en nous prévenant régulièrement contre la dérive consistant à croire que le monde n’est rien ou qu’il n’existe pas. Par son approche non dualiste, elle développait en nous une forme de conscience impersonnelle, dans laquelle les phénomènes et les situations de la vie quotidienne, dénués de consistance, devenaient incapables de nous émouvoir."
"Elle voulait dire qu’en vertu de la non-dualité, même l’opposition entre ce qu’on appelle le saṃsāra, le cycle des souffrances, le monde des illusions fait d’une perpétuelle circulation, et le nirvāṇa, autrement dit l’extinction, la paix et l’ultime vacuité, n’était qu’une représentation commode dont on se défaisait au moment voulu.Même l’Éveil, passage irréversible de l’un à l’autre, ne résistait pas à sa sagacité. Car dame Naṃdā nous fit observer que quelqu’un qui accède à l’Éveil laisse derrière lui tous les concepts et toutes les sensations : il ne s’attache plus aux formes, aux sons, aux odeurs, aux objets tangibles ou mentaux. Il donne naissance à un esprit que rien n’emprisonne, pas même l’existence et l’inexistence. Par conséquent, il ne reste en lui aucune notion d’une personne à laquelle on puisse attribuer l’Éveil. Elle disait :— Si un Éveillé donnait naissance à la pensée selon laquelle il a atteint le fruit de la condition d’Éveillé, ce serait le signe qu’il est resté emprisonné dans l’idée d’un soi, d’une personne, d’un être vivant ou d’une durée d’existence. Quand un sage qui se destine à l’Éveil entretient l’idée d’un soi, d’une personne, d’un être vivant ou d’une existence, il cesse d’être authentiquement tourné vers l’Éveil."
Nous retrouvons là ce qui constitue la singulière parenté de l’Adventa Védanta de Ramana Maharshi et des conceptions de la vacuité bouddhiste, indiquant que que la voie tracée pour le sage, le philosophos est dans le désir de la Connaissance de la réalité Ultime Absolu en lieu et place de la réalité conventionnelle dans laquelle est forgée l’ignorance, le monde du samsara et donc la souffrance de l’illusion de l’égo.
Dans la présentation de son livre Maxime Rovère en vient à définir le « Philosophos » :
« Un philosophos, c’est quelqu’un qui veut obtenir, vous appelez cela comme vous voulez , la sagesse , le bonheur, la vertu etc… en réfléchissant par la voie de la connaissance, c’est cela qui définit la philosophie grecque et romaine » ( https://www.youtube.com/watch?v=YPUE7xYbTY0 minutes 15’ et sq)
Dans ces échanges ce qui est interrogé c'est la Réalité de la réalité, comme j'ai pu le faire dans l'article «Maya - le voile d'Isis » .
C'est bien continuellement la question de la nature de l’Etre qui est posée et qui m'apparaît au cœur même de cette tension spirituelle entre philosophie occidentale et sagesse orientale. Tension que vont s’efforcer de résorber, ces descendants des philosophes-thérapeutes : les coach philosophiques de nos temps modernes.
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