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Photo du rédacteurThierry Raffin

Le quotidien...

Dernière mise à jour : 3 déc. 2021

Le quotidien... Quel ennui !... Cela peut être là le premier réflexe, la première réaction à l'écoute de ce mot et on pourrait se questionner de savoir pourquoi écrire sur cela... ? La publication d'un livre de Geneviève Pruvost , sociologue du travail et du genre, chercheuse au CNRS, est l'occasion justement de revenir sur ce quotidien pour y découvrir non pas l'ennui et la lassitude ou « la fatigue de vivre » , mais au contraire le sens de la vie, toute l'épaisseur du moment présent.


La sortie du livre de Geneviève Pruvost « Quotidien politique » avec ce sous-titre « féminisme, écologie, subsistance » est aussi l'occasion de renouer, de faire un pont d'une certaine manière avec le passé et aussi de se lancer vers l'avenir. (https://www.franceinter.fr/emissions/la-terre-au-carre/la-terre-au-carre-du-jeudi-11-novembre-2021). En quelque sorte , il constitue sur le Chemin, un moment où les connexions se font et participent de l'expérience (au sens du philosophe John Dewey comme on va le comprendre plus loin ) qui autorise « la bifurcation ». Ce dernier terme peut conduire à relire l'article sur le « bivium » (https://enviedebienetre.wixsite.com/enviedebienetre/post/____y) où il s’agissait de mettre en lumière, l’importance du choix à réaliser en conscience des embranchements de la vie pour construire son Chemin qui s’élabore dans le pas à pas du quotidien . Ce quotidien apparait comme un lieu auquel nous voudrions parfois échapper, pour un ailleurs, un temps plus exaltant, plus stimulant, plus brillant... Il y a ainsi une tendance à fuir le quotidien. Là dans un premier temps, l'idée pourrait être de « ruser » avec le quotidien, pour ne pas se laisser enfermer, piéger, de chercher à inventer, à réinventer le quotidien par la mise en place « de tactiques de résistance par lesquelles détourner les objets et les codes » imposés par la société de consommation tel que le propose le philosophe Michel de Certeau dans « les arts de faire » de « L'invention du quotidien" (https://www.franceculture.fr/oeuvre-l-invention-du-quotidien-volume-1-arts-de-faire-de-michel-de-certeau)

Pourtant Geneviève Pruvost suggère une toute autre voie intéressante, plus proche de cet espace d'ouverture et de la pleine présence que nous cherchons à explorer ici dans ce blog. Elle emprunte cette voie à un autre philosophe et sociologue Henri Lefebvre plus foncièrement critique par rapport aux formes de détournement de soi et du vivant contenues dans le mode de production de l'existence promu par le capitalisme. La fascination induite pour la « vie moderne » nous détourne de la conscience de la richesse du quotidien. C’est ce que veut nous faire goûter Geneviève Pruvost en citant Henri Lefebvre, en rappelant que « la vie quotidienne apparaît ici comme le sol nourricier » (« Critique de la vie quotidienne - Introduction ). Ainsi comprise, la vie quotidienne peut ne pas être cet espace-temps morne dont on voudrait sortir, s'échapper :


« c’est dans la quotidienneté que naissent les projets et qu'ils sont mis à l'épreuve, soumis à la cohabitation de forces contraires et à l'invention ajustements adéquats » Geneviève Pruvost

C'est un notre rapport au temps qui se réinstaure, qui nous libère peut-être de ce temps tendu, linéaire de la vie moderne toujours orienté vers un but, un objectif à atteindre. Là dans la vie quotidienne nous pouvons retrouver le temps cyclique fondé sur la spirale de l'expérience, un chemin pour se reconnecter à ce que nous vivons, éprouvons … se reconnecter aussi à soi , à ce qui est vivant en soi. Je pourrais reprendre ici nombre de citations que Geneviève Pruvost fait de Henri Lefebvre... Elles disent ainsi aussi l'importance de relire les « anciens ». Et cela ne date que deux trois quart de siècle... Pour réussir à nous resituer dans ce qu'il appelait la « quotidienneté créative » fondée sur l’inter-connaissance territoriale et l'entraide mutuelle. Comme il l’écrivait en 1954 dans les communautés paysannes « le voisinage forme aussi un tout indivisible ». Le rapport à la quotidienneté apparaît alors comme un rapport à la communauté, comme une attention aux liens qui la constituent ; et constitue une invitation à prendre soin en permanence des relations nous pouvons entretenir, développer à autrui. Il est l’espace-temps même de l'éthique, de l’inter-être et de l'intégration sociale de son être propre. Tout ceci interroge de fait et depuis longtemps maintenant, les dérives qui n'ont fait que croître avec le développement de la société moderne, c'est-à-dire ici mécanisée, industrielle, puis numérique et communicationnelle, pervertissant même l'objectif démocratique qui lui était associé. L'homme-individu semble dépassé, écartelé dans cette tension des injonctions et des impératifs de réalisation qui lui sont assignés par un système sociotechnique et socio-économique, orienté par le souci de productivité, de compétitivité et de performance. Jusqu'à l'épuisement énergétique qui se manifeste dans la multiplication des burn-out (voir la fiche de lecture : https://www.philippefabry.eu/fiche.php?livre=8 ) Geneviève Pruvost mobilise un philosophe du début du 20e siècle pour opérer la critique de cette dérive de la modernité - John Dewey - pour qui la capacité intellectuelle et émotionnelle à maintenir une posture éthique dans ses engagements sociaux, communautaires est fragilisée par cette implosion de l'espace-temps du quotidien, menaçant du même coup pour lui le bon fonctionnement démocratique. L'émergence d'une classe technocratique des espèces des experts , à même l de traiter de la complexité croissante du monde sociotechnique met à mal la responsabilité de chacun sur sa vie , l’enchaînant à des dépendances verticales et vertigineuses où l'espace quotidien ne cesse d'être comprimé.

Ainsi l'évolution technique et l'inflation concomitante est induite des savoirs spécialisés nous a t-elle expulsé de notre rapport familier au quotidien. Cet espace-temps nous est devenu une charge, un poids, parfois difficilement supportable, difficile aussi à gérer ; tout comme si nous manquions du temps pour cela, tant le temps a été détourné vers d'autres horizons posés, visés comme les lieux véritables, indispensables de production de notre existence. C’est sans doute avec Ivan Ilitch que cette critique de notre détournement du quotidien par les modes de vie modernes a été la plus explicite, lucide et virulente lorsqu'il appelle a une « société sans école » , à « la convivialité ». Aujourd'hui sa critique qui date de plus d'un demi-siècle maintenant s'est en quelques sorte sédimentée dans les générations post-soixante-huitardes. Geneviève Pruvost fait donc là un travail salutaire d'archéologie d'un passé récent, pour reprendre la dénonciation des « technocrates du bien-être » que faisait Ivan Illich. Le « bien être » a été réduit à une mise en forme marchande par l'industrie de la santé et de la culture afin de pouvoir remplir des rayons des supermarchés dans une sorte de récupération caractéristique le « nouvel esprit du capitalisme » pour reprendre le titre d’une étude classique de sociologie de Luc Boltanski et Eve Chiapello : https://www.youtube.com/watch?v=gfyk-EJois8 ). Le sentiment d'accélération du temps qui nous chasse du quotidien, est reprise aujourd'hui par tout un courant de la philosophie avec Hartmut Rosa ( « Accélération. Une critique sociale du temps ») qui affirme « plus on économise du temps et plus on a le sentiment d'en manquer ». Il y a là un appel à revenir ou plus exactement à forger l’expérience du quotidien comme l'avait bien mis en lumière déjà le philosophe John Dewey. Pour cela, il est nécessaire de prendre le temps de reconsidérer ce qui arrive ou est arrivé , ce qui a pu nous interpeller, nous bousculer, nous résister, en le mettant en perspective avec les connaissances, les savoirs accumulés, sédimentés au fil de l'eau de notre existence au jour le jour . Sans cela, pour John Dewey le risque est que nous puissions traverser la vie sans accumuler de l'expérience, notre temps, notre existence étant consumés dans cette accélération, conduisant un sort d’effondrement, de liquidation de notre être, de le rendre liquide sans réelle consistance. Face au risque croissant d'un autre effondrement, celui de ce monde-là, mis en évidence , ressenti par « les générations collapsonautes » de Yves Citton et Jacopo Rasmi (https://www.pointculture.be/magazine/articles/focus/sommes-nous-tous-collapsonautes/ ) une volonté de rupture et de retour au quotidien se développe et se répand, alimentant un mouvement d'exode urbain (renforcé par la crise épidémique et ses confinements successifs ). C’est cette nouvelle réalité émergente émergente, cette promesse d'un autre monde que Geneviève Pruvost trace dans son enquête truffée de maints exemples dont la ZAD de Notre-Dame-des-Landes brille comme un phare médiatique d’un nouveau monde, mais qui sont souvent beaucoup plus discrets et plein de cette humilité, de cette humanité, de cette simplicité qui fait le quotidien. On peut aussi donner ici le témoignage vidéo de « Solo Frey » qui dit prendre ainsi un peu de temps poru donner à voir et à penser son quotidien, avant d'y retourner dans la joie renouvelée du lever du jour de chaque matin. Il nous dit aussi, et répéte pour qu’on le comprenne bien, avec ces mots pleins de poésie « qu’il ne s'agit pas de croire, mais de savoir … d'expérience, que l'espoir est dans le vouloir et l’agir, dans ce travail au jour le jour en accord avec les saisons, visant à réinvestir le quotidien en rythme avec la nature...




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