Le titre est court, j'en conviens. Mais pas d'erreur, cette lettre « Y» est bien là à sa place. Pas de faute typographique, là où il s'agit de mettre une charge symbolique. Avant de clarifier le propos, soyons un peu énigmatique, en disant qu'il se pourrait bien qu’à elle seule cette lettre contiennent l'alpha et l'oméga de notre vie… Peut-être même le sens majeur de notre destinée, ainsi que la possibilité d'y échapper ? !
Demandons-nous si Pythagore pourrait bien nous aider à résoudre l'énigme...
Remontons donc à la plus ancienne antiquité grecque présocratique avec la secte des pythagoriciens pour débusquer la portée ésotérique de cette mystérieuse lettre de l'alphabet « Upsilon » qui préside au sens de notre existence. Mais une méditation approfondie sur la forme, pourrait commencer à nous éclairer …
Nous pouvons y voir une patte d'oie, la bifurcation d'un chemin, le moment du choix du chemin à emprunter. S’il s’agit du chemin de la vie, et si l'on pense à l’adage que « nul ne connaît son avenir », alors le choix de l'embranchement à suivre peut paraître épineux. Il faut donc voir le « Y » dans sa forme calligraphique telle que sur l'image que j'ai dessinée ci-dessus et qui représentait le symbole de la secte des pythagoriciens, le « bivium », et comprendre le sens qu'il révélait alors pour ses adeptes.
Pour les pythagoriciens , le bivium symbolisait le choix d'une voie d'efforts et d'abnégations pour conduire leur vie dans la recherche de la connaissance et de la vérité au sein de cette école philosophique. Cette voie est à l’opposée de celle qui est le plus souvent empruntée par la majorité des individus, et qui apparaît plus commune, plus conventionnelle, qui ne réclame pas cette incessante interrogation sur le Bien et la Vérité. Le bivium représente le symbole de la voie morale. On le retrouve dans les œuvres aussi des poètes de l'Antiquité comme celle d'Hésiode - « les travaux et les jours » - et dans le monologue de Prodicos sur le choix d'Héraclès entre le Vice et la Vertu ( pour ceux qui voudraient approfondir voir « L’idée de bivium et le sympbole pythagoricien du Y » : https://www.persee.fr/doc/rbph_0035-0818_1931_num_10_1_1340 )
Mais n’est-ce là qu’une affaire ancienne des dieux et de leur fils, les héros de la mythologie ? Cela ne nous concerne t-il pas aussi, encore et toujours ? N'est-ce pas là aussi ce point précis, à la fin de ce moment où il nous faut sortir de l'enfance, devenir adulte et autonome, laissant nos parents et nos maîtres derrière nous, arrivé au sommet de cette barre droite verticale de la première éducation du « Y », que nous avons à cet embranchement à nous orienter d'un côté ou de l'autre, à faire le choix de notre propre voie ? Bien sûr l'image peut nous apparaître simpliste, et mérite sans doute d'être affinée. Mais elle dit bien aussi combien est forte et puissante la possibilité de suivre la branche qui dans la forme du bivium semble habituellement poursuivie, celle plus sécurisante, plus droite aussi, plus évidente, qui parait prolonger la voie suivie jusqu'ici. L'autre branche plus étroite, pleine de circonvolutions peut nous sembler plus incertaine, plus risquée, moins rassurante, plus difficile, source de tourments. Et pourtant la symbolique nous dit que c'est plutôt cette voie là qui est la bonne, même si elle heurte notre sentiment et notre besoin de sécurité.
Cependant toute cette symbolique et cette forme d'injonction philosophique à emprunter et suivre la voie étroite, laisse entière la question de savoir comment il est possible d'effectuer un tel choix. Que se passe-t-il dans ce moment de l'éducation où il peut sembler que nous n'avons qu'à suivre les indications, les préceptes, les commandements de nos maîtres, par le double fait de l'autorité de la confiance ? Comment se combinent l'une et l'autre de sorte que le moment venu, la possibilité du choix de la Vertu, du Bien advienne véritablement ? « Vertu », « Bien », sont de biens grands mots , que désignent-ils ou veulent--il dire, signifier concrètement au moment d'orienter sa vie par soi-même ? Bien d'autres questions se posent, quant à savoir à quel moment cesse l'éducation, celle de nos parents, celle de nos maîtres, celle de l'âge et de ses expériences ? Sans doute n'avons-nous pas à choisir l'une des branches du bivium, une seule fois, mais une multitude de fois. Ainsi le symbole du «Y » peut-il être qu'une forme très simplifiée, symbolique d'une réalité de l'acte du libre choix qui prendrait plutôt la forme d'un arbre aux embranchements infinis, se croisant, et donnant aussi cette autre possibilité parfois de sauter d'une branche à l'autre .
Dans cette profusion d'images, nous sommes alors confrontés une nouvelle fois à cette opposition et question classiques en philosophie : les choses, notre vie sont-elles déterminées ou avons-nous le choix ? Et comment opère- t-il ? C'est la tension qui est au cœur même de l'éthique de Spinoza auquel je me réfère souvent. L’image du monde qu'il dessine apparaît particulièrement déterministe, et on retient souvent cette phrase :
« Les hommes se trompent en ce point, qu'ils pensent être libres. Or, en quoi consiste une telle opinion ? en cela seulement qu'ils ont conscience de leurs actions et ignorent les causes qui les déterminent. L'idée que les hommes se font de leur liberté vient donc de ce qu'ils ne connaissent point la cause de leurs actions »
Et pourtant la fin de l'éthique vise bien « la liberté humaine », via la joie-béatitude qui n' « est pas une récompense de la vertu mais la vertu elle-même », comme il l'établit la dernière proposition 42 liée à « la connaissance intuitive du bien » qui nous permet de dépasser nos penchants et sentiments tristes et augmente notre puissance d'agir. Comme le note Spinoza dans la scolie finale de l’Ethique :
« La voie que j'ai montrée pour atteindre jusque-là paraîtra pénible sans doute, mais il suffit qu'il ne soit pas impossible de la trouver. Et certes, j'avoue qu'un but si rarement atteint doit être bien difficile à poursuivre ; car autrement, comment se pourrait-il faire, si le salut était si près de nous, s'il pouvait être atteint sans un grand labeur, qu'il fût ainsi négligé de tout le monde ? Mais tout ce qui est beau est aussi difficile que rare ».
Ainsi la fin de l'éthique apparaît-elle comme une réponse à cette question préalable posée par Spinoza dans l'avertissement au lecteur de son « Traité de la réforme de l'entendement ou de la meilleure voie à suivre pour atteindre la vraie connaissance des choses » :
« Je me décidai en fin de compte à rechercher s'il n'existait pas un bien véritable et qui pût se communiquer, quelque chose enfin dont la découverte et l'acquisition me procurerait pour l'éternité la jouissance d'une joie suprême et incessante ».
Spinoza précise aussitôt qu'il s'agit là d'une décision « en fin de compte » difficile, car elle suppose et implique une attitude qui peut apparaître au prime abord « déraisonnable », celle « de renoncer à du certain pour quelque chose d'encore incertain ». Il faut lire tout ce débat lumineux du « Traité de la réforme de l'entendement », Spinoza nous convainc que c'est ce renoncement aux honneurs, aux richesses , aux plaisirs sensuels qui symbolisent les « bien certains », cette conversion du regard qui seule permet de se tourner et d'espérer trouver le « bien suprême ». On ne peut selon lui tenir les deux. Il nous faut nous libérer l'esprit des faux biens pour considérer le bien véritable. Il y a là sans doute pour le commun des mortels une dimension « mystique», mais selon Spinoza, c'est bien la méditation de la vie, la considération des données de l'expérience qui nous le révèlent et nous en donnent l'entendement ( la compréhension ) jusqu'à la certitude. Cette voie de la méditation de la vie que nous indique Spinoza, et qu'il décrit d'abord comme le fait de « réfléchir à fond » , se révèle d'être ce qu'il nomme « la science intuitive » qui seule permet d'accéder à l'essence adéquate des choses, mode de connaissances spécifique qu’ il distingue du raisonnement purement rationnel, et qui me semble dessiner à la lumière de la pratique un chemin étroit entre la raison et l'intuition pure, que cherchait aussi à percer le philosophe Bergson lorsqu'il confrontait l'intelligence et l'intuition dans son ouvrage « L’évolution créatrice » (1907).
Ce chemin même qui m'apparaît être celui de la méditation.
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