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Photo du rédacteurThierry Raffin

Le "Chemin"

Il est des moments où les mots résonnent différemment avec plus d'intensité, plus d’accuïté, et peut-être plus de vérité. Ainsi le mot « chemin ». Dans le registre spirituel que j'emprunte ici, article après article, ce mot arrive régulièrement, rituellement, un peu convenu aussi, sans être toujours nécessairement interrogé. Interrogeons-nous un peu ! Le « Chemin », la « Voie »… une terminologie qui nous relie au idéaux de la Tradition. L'Occident et l'Orient y trouvent les moyens d'une communication spirituelle depuis l'antique voyage de Marco Polo, en dépit ou au-delà des dimensions matérielles du commerce des épices - cette épicerie chère aux anciens marchands et aux contempteurs modernes du capitalisme néocolonial. Si le « chemin » apparaît aussi comme la métaphore géographique d'un parcours de l'esprit davantage que du corps, il m’apparaît là comme le moyen de mieux comprendre les conditions du passage de « l'avant à l'après » dans cette traversée du « virus de la peur ».


Que l'on lise un peu la presse, que l'on écoute un peu l'actualité et leurs chroniqueurs une expression revient souvent « il y aura un avant et un après le virus ». Oui bien sûr ! Il y a toujours un avant et un après. .. que veut-on dire lorsqu'on prophétise ainsi de la sorte ? Est-ce une prophétie de malheur ou de bonheur ou d'espérance ? Et que met-on derrière ces mots ? Car le malheur des uns peut-être le bonheur des autres. .. ? ! Certains voient même dans la crise du virus l'annonce, le signe d'un effondrement. Ce mot peut évoquer pour certains l'Apocalypse et raisonner comme l'annonce d'un temps de malheur. Pour d'autres l'Apocalypse est un évangile, une « bonne nouvelle ». Rappelons que le sens étymologique de l'Apocalypse c'est le moment de la « révélation ». Il y aurait donc là dans cette occasion où le monde se replie sur lui-même, un moment de révélation : quelque chose se déchire qui nous permettrait de voir au-delà du voile des illusions de la vie ordinaire ; tout à la fois une vérité du monde présent et un chemin possible pour un autre monde, souhaité, souhaitable ou craint ? L’effondrement entrevu est-il alors la source ou la raison profonde des peurs qui se manifestent, ou bien la voie possible d'une espérance ? Les choses nous apparaissent à incertaines, indéterminées. Là où nos habitudes, nos automatismes, les règles de la vie sociale ordinaire recouvraient la route vers le Futur d'une couche d'une certitude établie et rassurante, voici qu'un séisme sanitaire vient fissurer de tapis volant magique de la félicité socio-économique jusqu’ici connue (ou crue).


« Plus rien ne sera comme avant » répète-t-on avec dépit ou avec joie. Encore une fois, je pense qu'il nous faut prendre le parti de la Joie. Cela ne signifie pas se réjouir des événements, mais juste de mesurer qu’ils constituent une opportunité, une chance pour le changement du monde. Il y a un « chemin » entre l'avant et l'après. C'est dire qu'il nous faut marcher, faire l'effort de marcher sur ce chemin. Mais le dire ainsi est encore insuffisant pour donner sa résonance à ce mot « le Chemin ». Car si le chemin existe, est là... il n'est pas tout tracé. Marcher sur le chemin, c'est le construire, le constituer en marchant... Ensemble. L’effort est là, dans le « faire » et le « faire ensemble ». Il s'agit d'une « réalisation ». Ce terme signifie ici une conjonction, celle du « faire » et de l’ « Etre » - on va y revenir car ce rapprochement peut sembler paradoxal ou antinomique ; mais il signifie aussi une disjonction : « Réaliser » se distingue radicalement de « se réaliser ».

Le vocabulaire de la « réalisation » est ambigu en effet. D'un autre côté, il évoque dans le contexte de l'idéologie néolibérale moderne la volonté, l'ambition de la réussite individuelle, qui référée au plan matériel peut sembler arrogante, mais qui prend parfois les formes plus subtiles d'une pseudo spiritualité comme dans le « développement personnel ». D'un autre côté, la « réalisation », c'est aussi l'idéal d'éveil, d'atteinte du nirvana, dans la tradition spirituelle orientale. La « réalisation » dont nous voulons parler ici s'inscrit plutôt dans cette seconde acception. Mais tout de suite il est nécessaire de préciser le sens. Cet Eveil, cette Conscience ne sont pas strictement personnels, individuels. La réalisation c'est alors la compréhension, c'est « se rendre compte » et « rendre compte ». C'est compter avec les autres : c'est tout autant faire partie du compte que compter les uns sur les autres. C'est la conscience des liens, des solidarités, des interdépendances qui nous permettent d'Etre ( autonome) , comme nous avons pu le voir dans l'article précédent. C'est là que nous pouvons comprendre que l'Etre et le Faire se conjuguent. Ils sont parfois opposés l’un à l'autre. Le Faire nous éloignerait de l'Etre. L’Etre est là bien sûr, encore faut-il « le faire être là », le rendre manifeste, le réaliser, le faire advenir, l’accoucher. C'est un vrai travail. Le chemin de la véritable réalisation est là maïeutique. Nous ne pouvons ni naître ni être seul. Ce que la Phénoménologie de Husserl nous apprend premièrement dans l'interrogation de la Conscience intentionnelle, c'est que l’Ego ne peut exister par soi seul, il n'existe que dans la Communauté des Egos. Le chemin s'élabore, se réalise dans le cheminement avec les autres, ensemble. Faire naître l’Etre, c'est « savoir être ensemble ». La conscience de soi est conscience des autres, et conscience du monde. Mais « ensemble » ne veut pas dire nécessairement « tous ensemble » comme dans une utopie d’harmonie idyllique. Ensemble, c'est déjà et d’abord « avec autrui », doublement dans l’attention et la tension. Nous sommes ainsi tendu vers autrui dans une relation d'entraide, d’interdépendance , d’inter-être comme le répète souvent aussi ThIch Nath Hand. http://www.thich-nhat-hanh.fr/index55d5.html?option=com_content&view=article&id=92&Itemid=85


Là est le chemin dans l’inter-être, comme un pont tendu entre l'avant et l'après qui tout à la fois relie et sépare ces deux moments qui encadrent le « temps du virus », qu'il nous faut vivre comme un passage, une transition , qu’il nous faut accueillir, accepter (voir l’article « C’est inacceptable » : https://enviedebienetre.wixsite.com/enviedebienetre/post/c-est-inacceptable


Au moment de terminer cet article je retrouve derrière d'autres livres dans ma bibliothèque un ouvrage de Edgar Morin offert par mes filles pour mes 54 ans au moment de sa sortie : « La Voie. Pour l'avenir de l'humanité » dont l'introduction démarre par ce constat de « la difficulté de penser le présent » . Il est intéressant de relire ce livre empreint d’une sagesse faite de Lucidité de Confiance, dans la possibilité d'une « métamorphose » à laquelle Edgar Morin a travaillé toute sa vie. Une métamorphose qui permette de « changer de voie » et qui soit bien une « nouvelle origine » . Citant Höderlin « là où croît le péril, croit aussi ce qui sauve ».

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