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Photo du rédacteurThierry Raffin

L'empire du doute

L'idée qu’ au travers de la « Maya » bouddhiste – l’illusion de la réalité-, il n'y a rien à découvrir derrière « le voile d'Isis » , sinon le principe même de « vacuité » : que rien n'existe par soi-même et que toutes choses ne peuvent être « saisies » que dans leur interdépendance ; ouvre aussi sur « l'empire du doute »  et d’un point de vue psychologique l'inquiétude que les choses ne sont pas ce qu'elles paraissent être... Mais une telle révélation de « néantisation » de la réalité, du monde ouvre un gouffre d'incertitudes : Jusqu'où le doute est-il possible ? De quoi, de qui peut-on , doit-on douter ? Jusqu’au  risque d'y voir sombrer son être même, englouti par la dissolution de l’égo ? A-t-il une fin ? Un but mais aussi un terme ? L’inquiétude et l’angoisse en sont-elles ses compagnes inévitables ou bien le doute peut-il être le port d’attache, le point d’ancrage à partir duquel la sérénité peut s’établir ?

Voici des questions, un voyage au cœur du doute dans ses différentes acceptions…


J'ai toujours été fasciné par les voyages, plus exactement par les récits de voyages; et en particulier ceux des de ces premiers voyageurs qui découvraient, au-delà des paysages singuliers et de la variété des  espèces végétales et animales, la diversité des coutumes, l'altérité, et du coup la relativité même de leurs modes de vie, de manières de penser. J'ai encore présente à l'esprit les textes de descriptions pleins d'interrogation de De Bougainville dans le récit de ses voyages autour du monde.

Par exemple,  De Bougainville relate ici qu'il a ramené à Paris un habitant de Tahiti :

« L’empressement pour le voir a été vif, curiosité stérile qui n’a servi presque qu’à donner des idées fausses à ces hommes persifleurs par état, qui ne sont jamais sortis de la capitale, qui n’approfondissent rien et qui, livrés à des erreurs de toute espèce, ne voient que d’après leurs préjugés et décident cependant avec sévérité et sans appel. »

Pas étonnant alors qu'au détour du numéro de septembre 2024 des grands dossiers de Sciences et Avenir dédié  aux « grandes expéditions scientifiques », j'ai été attiré par ce livre recensé de Stéphane Van Damme« les voyageurs du doute. L'invention d'un alter-mondialisme libertin. 1620-1820 ) ». Comment n'aurais-je pas pu y retrouver les traces de mon propre itinéraire de pensées, des pas précurseurs de mon propre fond sceptique, qui m'a aussi conduit (et a été alimenté en retour mon goût ) à la philosophie, à Pyrrhon, et plus près de nous, à Montaigne et à Pascal, époque aussi de ces « libertins érudits » héros des « voyageurs du doute », bravant les dogmatismes religieux de leur temps, ouvrant les champs (chants) de la modernité et d'un humanisme spirituel.

Modernité qui de nos jours à l'ère de la post-vérité ,  apparait  menacée au plan même de l'ordre démocratique et de l'ordre même du savoir scientifique par « l'empire du doute »  régulièrement dénoncé par le sociologue Gérald Bronner dans son livre « La démocratie des crédules » (voir son chapitre 1 – et une de ses interventions de https://www.youtube.com/watch?v=8L52YiOeGX0 ). Mais, si le doute semble bien travailler la « sphère  complotiste » sur les réseaux Internet qui réclame le droit au doute quant aux « vérités officielles » déclamées par les médias dominants en écho des gouvernants ; le doute n'est pas une invention moderne. L'histoire du doute philosophique est à peu près connue, depuis ses origines grecques supposées avec Pyrrhon philosophe promoteur de cette forme radicale de scepticisme à la fois validé et dénoncé par Pascal (car lui-même sceptique à sa manière janséniste comme on va le voir) et bien d'autres, avant et après lui. S'il faut remonter encore le fil du doute vers sa source, on peut apercevoir que le scepticisme de Pyrrhon puisait semble-t-il ses propres origines dans le voyage qu'il fit en Inde avec son maître le philosophe Anaxarque dans le cadre de la campagne d'Asie d'Alexandre le Grand. Ils rencontrèrent  les « gymnasophistes » ( sans doute des ascètes Jaïn professant une doctrine de la nécessaire pluralité des points de vue). Dans cette histoire du doute une étape important est celle qui ouvre notre modernité avec le  « doute méthodique » de Descartes,  plus connu et mis au double fondement de la réflexion philosophique post-scolastique et de la démarche scientifique . Scepticisme dont a hérité Kant également au moment où Hume avec son empirisme le sort de son « sommeil dogmatique » , le conduisant au développement de la « raison critique » qui n'accorde à la raison que la seule prétention à connaître les phénomènes à défaut de « la réalité en soi » inconnaissable.

N’était-ce  pas au fond déjà, l'idée même de Pyrrhon empruntée aux « gymnasophistes » ? Une telle question peut nous permettre dans un premier temps de considérer ce qui lie la méthode sceptique au pyrrhonisme, et ce qui l’en distingue. La position de Pascal à Pyrrhon peut nous donner des indications sur la portée et les limites du doute philosophique, et encore une fois sur le statut précaire et incertain de toute prétention à atteindre la vérité ; qui apparait de divers ordres dans son œuvre comme le montre bien l’ouvrage collectif coordonné par Martine Pécharman « Pascal. Qu’est-ce que la vérité ? », en distinguant pour le moins « vérité phénoménale » et « vérité essentielle » (https://www.les-philosophes.fr/pascal/pascal-qu-est-ce-que-la-verite.html ). 

Dans une suite de Pensées éparses Pascal dit à propos de la vérité :


La vérité est si obscurcie en ce temps et le mensonge si établi, qu’à moins que d’aimer la vérité on ne saurait la connaître. (Lafuma 739)
Les malins sont gens qui connaissent la vérité, mais qui ne la soutiennent qu’autant que leur intérêt s’y rencontre. Mais hors de là ils l’abandonnent. (Lafuma 740)

Pour autant, le rapport de Pascal au scepticisme reste ambigüe, embarqué qu'il est dans la critique de son clan janséniste à l'encontre des positions mondaines de Montaigne dont les Essais sont à leur goût trop travaillés par le doute. Il faut lire « philosophie de Pascal. Le principe d'inquiétude » de Laurence Devillairs pour comprendre que tout le « scepticisme stoïcien » de Montaigne irrigue et irrite tout à la fois Pascal dans ses Pensées. Là où Montaigne fait de cette incertitude du monde et des choses, dans le constat de leur diversité, de leur relativité-instabilité, un principe de « vérité du monde » et des hommes, un chaos accepté et intégré comme la vie même, Pascal se révolte, tout en reconnaissant au fond cette «  vérité mondaine »  et cherche désespérément une voie de salut qui fonde profondément en lui ce « principe d'inquiétude ». Pascal brule en permanence de ce désir de l'homme de trouver en lui une vérité, et il est éreinté en même temps par cette vérité que tout lui échappe.

« Debut : Voilà où nous mènent les connaissances naturelles. Si celles-là ne sont véritables, il n’y a point de vérité dans l’homme ; et si elles le sont, il y trouve un grand sujet d’humiliation, forcé à s’abaisser d’une ou d’autre manière
[…]
Fin : Voilà notre état véritable. C’est ce qui nous rend incapables de savoir certainement et d’ignorer absolument. Nous voguons sur un milieu vaste, toujours incertains et flottants, poussés d’un bout vers l’autre. Quelque terme où nous pensions nous attacher et nous affermir, il branle et nous quitte et, si nous le suivons, il échappe à nos prises, nous glisse et fuit d’une fuite éternelle. Rien ne s’arrête pour nous. C’est l’état qui nous est naturel, et toutefois le plus contraire à notre inclination ; nous brulons de désir de trouver une assiette ferme, et une dernière base constante pour y édifier une tour qui s’élève à l’infini ; mais tout notre fondement craque, et la terre s’ouvre jusqu’aux abimes. Ne cherchons donc point d’assurance et de fermeté. Notre raison est toujours déçue par l’inconstance des apparences ; rien ne peut fixer le fini entre les deux infinis, qui l’enferment et le fuient. » (fragment 199 Lafuma)

Comme le dit Laurence Devillairs, « Pascal c'est une philosophie écrite au bord du gouffre » :

« il faut chercher à se connaître soi-même, quand bien même cela ne servirait-il pas à connaître le vrai, cela servirait à vivre, et je ne vois rien de plus juste » (Pascal fragment 72 Lafuma)

Et cette vie est une vie d'inquiétude finalement acceptée, dans la soumission au « Dieu caché » dont les croyants  ignorent à jamais les desseins.

Comme il est écrit dans la  note de présentation de l'ouvrage qui fait écho à ce sentiment qui étreint aussi le lecteur assidu des Pensées, arpentant leur tension permanente, « l'homme est inquiétude, incessante question pour lui-même, jamais en repos parce que son désir de vérité ne trouve que des vérités qui s'opposent et que son appétit de bonheur vrai le conduit aux faux plaisirs d'un divertissement qui tente d'oublier l'inquiétude sans jamais la dissiper  […] l'inquiétude fait la vérité de cet être sans cesse travaillé  par des vérités contraires qui, chacune deviennent fausses d'exclure les autres » . Il y a là me semble-t-il, les prémices d'une pensée de l'absurde, de l'angoisse existentielle, sauvés  in extremis par l'abandon dans la foi chrétienne des jansénistes, elle-même structurée par cette inquiétude foncière, taraudée par la torsion entremêlée du doute et de l'espoir en la grâce divine. Foi et raison s'articulent ainsi chez Pascal qui écrit

« Quand on travaille pour demain et pour l’incertain, on agit avec raison, car on doit travailler pour l’incertain » (fragment 577 Lafuma).

Car la religion elle-même est incertaine comme l’affirme Pascal au début même de ce même fragment :

« S’il ne fallait rien faire que pour le certain on ne devrait rien faire pour la religion car elle n'est pas certaine. […] il n'est pas certain que nous voyons demain, mais il est certainement possible que nous ne le voyons pas.  On ne peut pas dire autant de la religion.  Il n'est pas certain qu'elle soit. Mais qui osera dire qu'il est certainement possible qu'elle ne soit pas ? » ( fragment 577 Lafuma )

Nous retrouvons bien là la tension sceptique du pari pascalien qui ne saurait être simplement compris comme un argument apologétique à la seule intention des libertins. Un même doute taraude Pascal, qui fait pour lui ce pari janséniste de l'existence de Dieu, transmué en foi comme volonté inquiète de dépasser le doute, d’en limiter  l'empire. Ainsi, « misère de l'homme sans Dieu, grandeur de l'homme avec Dieu » ne saurait être simplement le titre possible d'un projet inachevé d'apologie de la religion chrétienne par Pascal, mais l'expression d'un doute profond tout à la fois socio-politique (anthropologique) et théologique.Dans les Pensées, les sciences, l'esprit scientifique occupent peu de place comme l’atteste le regroupement des pages de ses fragments consacrés à la «  folie de la science humaine et de la philosophie », et parmi lesquels on trouve cette note «  Ecrire contre ceux qui approfondissent trop les sciences. Descartes »  (Lafuma 84) et le fameux «  Descartes inutile et incertain ».

Ainsi, cet esprit  scientifique qu’ était lui-même Pascal, doutait-il aussi de l'importance de cet esprit, même s'il pouvait être vecteur de "vérités phénoménales". Le rationalisme de Pascal se distingue là radicalement du rationalisme défendu par Descartes. Il est d’un autre ordre. La vanité de l'homme, maintes fois dénoncée dans les fragments, se manifeste aussi dans la vanité des sciences :

« la science des choses extérieures ne me consolera pas de l'ignorance de la morale,  aux temps d'affection ;  mais la science des moeurs me consolera toujours de l'ignorance de sciences extérieures »  Lafuma 23

Ici l'esprit de finesse l'emporte sur l'esprit de géométrie, attisant chez Pascal le principe d'inquiétude générateur puissant et constant de ses Pensées. Toute une hiérarchie dans l'ordre de la rationalité à la foi, peut se déduire à partir de là, ouvrant la porte au scepticisme  en forme d'abîme vertigineux qui écarte presque à l’infini Pascal de Descartes et de son doute méthodique, l'enfermant dans une voie aporétique d'une tension insoluble (hors la foi) entre le scepticisme et le dogmatisme ; et dont la seule issue est Dieu terme final de la conclusion du fragment 131 (Lafuma). Tout le début de ce fragment dit la force renversante du pyrrhonisme, que seule la nature ( de l'homme ? ) et non sa raison (impuissante) peut juguler :

« Que fera donc l’homme en cet état ? Doutera‑t‑il de tout ? Doutera‑t‑il s’il veille, si on le pince, si on le brûle ? Doutera‑t‑il s’il doute ? Doutera‑t‑il s’il est ? On n’en peut venir là, et je mets en fait qu’il n’y a jamais eu de pyrrhonien effectif parfait. La nature soutient la raison impuissante et l’empêche d’extravaguer jusqu’à ce point. » Lafuma 131

Ainsi le doute sous forme d'inquiétude étreint-il  la pensée de Pascal comme le montre Laurence Devillairs, mais une exigence plus forte manifeste aussi pour en sortir, car il apparait impossible à tenir pour  Pascal. Dès le deuxième fragment (Lafuma) il pose cette question « que dois-je faire? ». Il s'agit de se décider, d’ agir pour exister au-delà du simple fait d'être. Et pour cela de parier dans l’incertitude, un moyen pragmatique de rompre avec le doute qui est inacceptable insupportable. Chercher Dieu. Vivre en Dieu.

Mais reconnaissant  en  l'homme « une chimère » pétrie de contradictions, « juge de toutes choses, imbécile ver de terre ; dépositaire du vrai, cloaque d'incertitudes et d'erreurs » , Pascal lui enjoint :

«Connaissez donc, superbe, quel paradoxe vous êtes à vous‑même ! Humiliez‑vous, raison impuissante ! Taisez‑vous, nature imbécile ! Apprenez que l’homme passe infiniment l’homme et entendez de votre Maître votre condition véritable que vous ignorez.
Écoutez Dieu. » Lafuma 131

 Comme le note Laurence Devillairs «  Ainsi est posée une équation entre pensées, réflexions, inquiétude et action ; à quoi s'oppose l'enchaînement entre indifférence, égarement, indolence . »

Si Pascal espère chercher à vaincre le scepticisme par le nom de Dieu ; à la lecture profonde de ses pensées on conçoit qu'elles sont néanmoins  emportées par les forces puissantes de l'empire du doute qui s'étend à son époque comme une vague de fond qui soulève le milieu des libertins érudits, alimenté par les récits des voyageurs du monde, découvrant de nouveaux horizons, interrogeant de plus en plus les coutumes, les lois, les institutions, les rites du vieux monde et de sa religion dominante, remettant en cause de manière plus ou moins insidieuse ou provocante les pensées établies et les pouvoirs installés. L’historiographie occidentale qui impose sa vision du monde, nous a légué un récit politique positiviste de la conquête du monde et de ses valeurs politiques et économiques sur un fond initial de conversion des populations indigènes à la religion chrétienne. Il s'agit là pratiquement d'un récit hagiographique, celui d'une sainte et positive mondialisation, qui est en fait celui d'une domination et d'une exploitation coloniales, ferments de l'hégémonie du régime capitaliste. Le livre de Stéphane Van Damme «  Les voyageurs du doute » révèle alors les prémices d'un contre-récit par les « libertins érudits » français au moment même où se mettent en place les structures de la mondialisation par différents pays européens dans la France absolutiste de Louis XIV. Comme le montre Stéphane Van Damme « porteurs d'une contestation scientifique de l'universalisme occidental, ces voyageurs du doute élaborent  le premier altermondialisme. L’un de ces voyageurs, François Bernier , met en valeur dans son récit «  un libertin dans l'Inde moghole»,  la tolérance et l'ouverture inter-religieuses qui règnent dans la cour mongole. Lui-même dit avoir traduit en persan des œuvres de Descartes et Gassendi qui s'inscrivent dans la volonté de dépassement du savoir-scolastique aristoélicien encore diffusé par les jésuites portugais à l'oeuvre en Inde également. François Bernier semble en retour lui-même instruit et séduit par la philosophie des Upanishad. Il entretenait par correspondance, comme d'autres, la pensée sceptique de La Motte Le Vayer , une figure peu reconnue jusque-là de la philosophie du 17e siècle et qui occupait une place singulière dans la société de son temps. Il était aussi une figure fidéïste,  parallèle - et en même temps oblique-  à celle de Pascal. Ce personnage protégé du cardinal de Richelieu, puis ensuite de Mazarin, occupe une place de précepteur au cœur de la cours royale, apparait pourtant comme un libertin érudit chrétien, siégeant à l'Académie Française, ami de Gassendi, admirateur de Montaigne,  s'inscrit philosophiquement dans la lignée de Pyrrhon, de Sextus Empiricus et de Pierre Charron, suspendant toujours son jugement dans ses nombreux écrits, cherchant par là «  la parfaite tranquillité d'esprit » «  le plus haut degré de béatitude humaine » selon ses propres mots. La Mothe Le Vayer se présente comme une âme éprise de voyages et de liberté : à l'article de la mort, visité par son ami le voyageur François Bernier, il lui demande « Eh bien, quelle nouvelle avez-vous du Grand Moghol ? » Il y a donc bien ainsi toute une lignée, riche en diversité de positions, qui relie  Montaigne, La Mothe le Vayer, Pascal, qui remet en cause la puissance de la raison à comprendre le monde et prônant chacun à sa manière « l’irrésolution » . C'est ce que montre Silvia Giocanti dans son ouvrage « Penser l'irrésolution. Montaigne,  Pascal, la Mothe Le Vayer, 3 itinéraires sceptiques », enquêtant sur ce « scepticisme moderne »,  plus radical (politique) que le scepticisme grec, en envisageant le doute comme fin de la philosophie. Comme le montre encore Sylvia Giocanti le scepticisme de l'âge classique se développe sur la base du pyrrhonisme ancien, en réaction à un rationalisme cartésien qui s'étend à partir du 17e siècle comme philosophie dominante. Descartes, lui-même s'appuya sur ce doute sceptique mais pour faciliter l'oeuvre de la raison. Le doute n'était pour lui qu'une étape méthodique dans le travail de la pensée.

Peut-on conclure quelque chose de positif pour finir cette excursion en forme de voyage dans la résurgence du doute sceptique à l'aube de notre modernité au travers de ces deux figures parallèles complémentaires, contrastées voire antagonistes par certaines postures que sont le scientifique janséniste croyant Blaise Pascal et l'esprit libertin courtisan François de La Mothe le Vayer ?

S'il ne saurait y avoir de conclusion claire et définitive, peut-être peut-on noter en guise d'enseignement (pascalien...) que c'est sans doute d'un même mouvement que la pensée rationnelle scientifique visant à établir des connaissances positives objectives de la réalité physique du monde (grandeur ?), et la pensée rationnelle sceptique mettant en doute cette possibilité de véritable connaissance de la réalité (misère ?), se constituent. La modernité s’engendre de cette double figure de l’éminence de la raison toute puissante à englober le monde et de son impuissance intrinsèque à dire une quelconque vérité du monde au-delà de ses apparences. L'empire du doute alimente vraisemblablement, et de manière contradictoire, l'oeuvre de la connaissance, lui permettant de s'établir toujours ... sur des sables mouvants.

Ainsi par exemple depuis plus d’un siècle maintenant, ce que l'on sait de la physique quantique par  ses équations permet  de rendre compte de tant d'innovations technologiques majeures intégrées dans notre « monde moderne », de manière tout à fait pratique (transistors, semi-conducteurs , lasers, diodes électroluminescentes, GPS...) ne nous assure en aucune manière sur le plan des savoirs fondamentaux d'une véritable connaissance unifiée et pleinement cohérente des « lois de la nature » et d'une juste compréhension des phénomènes observés. De multiples interprétations concurrentes continuent à alimenter l'empire du doute au-delà des connaissances établies, ouvrant un abîme du savoir sur la nature de la réalité physique, dont  certaines théories multiplient la possibilité qu'elle ne soit qu'une simulation... dont l'origine serait alors mystérieuse. ..( https://www.science-et-vie.com/sciences-fondamentales/vivons-nous-dans-une-simulation-informatique-les-resultats-etonnants-116122.html )

Ainsi, au-delà de l'irrésolution, de l'inquiétude, ce petit voyage au cœur du doute, on peut s'interroger de savoir s'il peut nous ouvrir néanmoins à quelque sérénité ? Peut-être ! En considérant que cette hypothèse incertaine que nous ne soyons que le résultat d'une simulation (numérique) peut être pensé comme une formulation (mathématique) d'intuitions déjà énoncées dans des doctrines orientales traditionnelles de la non- dualité qui postule l'illusion de l’égo. Si l’égo n'est pas, comment pourrait-on s'inquiéter   ? Qui s'inquiète ? L'égo ne pouvant fuir ni les dogmatiques, ni les sceptiques, balançant des uns aux autres, dans  une oscillation permanente, infinie, seule la possibilité « d'écouter Dieu »   selon les préconisations de Pascal ou de réaliser le « soi-déjà-là »  selon d'autres traditions comme celle de Ramana Maharshi peut nous apporter cette tranquillité d'esprit. Ceci ouvre un nouveau champ de questions sur lesquels je reviendrais à la suite de cet article...

Ainsi en creusant, à suivre l'analyse de la position de Pyrrhon  proposée par Marcel Conche dans son livre clé « Pyrrhon ou l’apparence », nous arrivons à ce paradoxe que son scepticisme radical, qui semblerait alors nous conduire à une extension maximale de l'empire du doute, en constitue dans les faits un effondrement, une sorte d'implosion. Commentant cette position attribuée à Pyrrhon  qu'il faut «  être sans jugement, sans inclination d’aucun côté, inébranlable en disant de chaque chose qu'elle n'est pas plus qu'elle n'est pas, ou qu'elle est et n’est pas, ou qu'elle n'est ni n'est pas », Marcel Conche affirme que « Pyrrhon ne doute pas,  il fait au contraire de la négation et de l'abstention son élément » . On retrouve là,  la logique du tétralemme tel qu’elle se développe dans le bouddhisme Madhyamaka  avec Nagarjuna :« tout est vrai ou non vrai et aussi vrai et non vrai à la fois, de même ni non vrai ni vrai à la fois. Cela est l'enseignement graduel des Bouddhas  [ non dualité ] »  https://fr.wikipedia.org/wiki/T%C3%A9tralemme_(philosophies_orientales)

Il n'y a pas à douter car nul lieu pour douter. Dans le pyrrhonisme, il ne s'agit plus de « suspendre son jugement » ( l’époché posé comme base de la réflexion philosophique par Zénon  de Kition fondateur du stoïcisme), il s'agit de ne pas juger, de cultiver le non jugement. Comme le dit Marcel Conche «  la sphère du jugement est abandonnée de manière totale et définitive comme lieu de vérité. Ce qui est ici battu en brèche c'est l'intention métaphysique de la philosophie tel que l'avait définie Aristote, comme la recherche de la vérité, de l'étant,de  l’être de l'étant. Pyrrhon conteste le droit de la pensée à dire ce qui est. Pyrrhon  dissout l’être de l’étant ;  et se faisant tout doute possible. Faut-il craindre qu'il ouvre ainsi la porte du « néant » ? Pour Pyrrhon,  il semble bien que l'envers de l’être  ne soit pas le néant mais un «  rien »   qui reconnaît une seule existence :  l'apparence pure.

Ainsi l'inquiétude de la vérité se mût  en quiétude  de vivre. Au delà du "Je" ?

 

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