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Photo du rédacteurThierry Raffin

"ça change"

Dernière mise à jour : 22 avr. 2020

Ca change. Il faut que cela change ...

Est-ce un constat ? Une espérance ? Une injonction ? Il est des moments ainsi dans la vie où cette question du changement nous apparaît avec plus de force. Ainsi la situation que nous vivons avec la pandémie, avec le confinement nous confronte-t- elle au changement de manière collective. Qu'est-ce que cela veut dire ? Que pouvons-nous en faire ? Car nous l'avons déjà vu et expérimenté le changement est permanent. Ça change tout le temps… C'est cela l'impermanence. Alors qu'y a-t-il de changé ?




Ce nouvel article est un peu une suite ou un approfondissement du précédent où je dessinais la possibilité d'un « Nouveau Monde » . J’ évoquais déjà cette question du changement, et de l'impermanence, et de la souffrance. Les enseignements du Bouddha reposent sur les quatre nobles vérités, et la loi de la causalité, et de l'interdépendance de toutes choses non libres d'existence propre ( la vacuité ). Dans l'un de ces enseignements le Bouddha cherche à nous faire comprendre que la vie est Dukkha, du fait de toutes ces choses qui se manifestent dans le temps : la naissance, la maladie, la vieillesse et la mort. Mais il attire aussi notre attention, sur les raisons de cela, sur le fait que l'existence humaine est aussi celle qui nous conduit à transformer la douleur en souffrance par l'effet d'une « seconde flèche », celle que l'on se lance à soi-même après être atteint par la première flèche de la vie qui nous inflige la douleur physique ; et qui consiste à rajouter une couche de souffrance émotionnelle, par toutes les questions que nous nous posons, sur le pourquoi des choses, les réponses en forme de jugements que nous cherchons à y apporter (pourquoi cela m'arrive t-il ? Ce n'est pas juste ! c'est insupportable, inacceptable ! ma vie est foutue… Je vais mourir …) Nous voyons bien alors que le changement c'est l'effet du temps. C'est la première flèche. C'est la flèche du temps ( la loi de l'entropie selon la physique qui nous dit que nous ne pouvons pas revenir en arrière, la cause précède toujours l'effet). Notre rapport aux changement est souvent alors l'occasion des plus grandes souffrances - « la seconde flèche ».

Bien que le changement, nous touche tous, comme l'ensemble des êtres vivants et non vivants de la nature, de l'univers, il ne semble prendre sens que pour nous êtres humains. Bien qu’universel, le changement nous apparaît alors comme une affaire singulière, nous focalisant d'abord sur notre situation personnelle. Il est symptomatique à cet égard que l'approche psycho-sociologique classique du changement dans les organisations l'appréhende au travers de la courbe dite du changement justement, et qui est une adaptation au monde de l'entreprise de la courbe du deuil établie par Elisabeth Kübler-Ross.

Le changement est compris ainsi comme une affaire, quelque chose qui nous touche, qui nous atteint, qui nous affecte de l'extérieur ( comme la première flèche ), et produit en nous une réaction. On parle alors souvent de cette fameuse « résistance au changement ». Mais avant même la résistance du « ça change », de quoi le « ça change » est-il l'expression ? Avant même que le changement n’ arrive, sa perspective même est le nom de la peur qui est déjà là en nous peut-être, d'avoir à perdre, à renoncer à nos habitudes construites jour après jour qui sont comme une croyance fermement enracinée , en ce qu'elle serait possiblement la condition de notre sécurité de notre identité. Cependant à suivre la courbe on comprend que les choses sont plus complexes, évolutives, diversement expérimentées, vécues d'une personne à l'autre dans ses effets, dans ces manifestations. Tout cela n'est pas purement mécanique, et la loi de causalité connait là des variations liées à la perception, à l'histoire de vie personnelle de celui qui est « affecté » par le changement - de manière consciente ou inconsciente. Ces considérations ouvrent alors la possibilité pour chacun de devenir un acteur conscient du changement de son histoire de vie. C'est bien cette dimension dynamique, dialectique du changement qui est explorée, utilisée par la PNL (Programmation Neuro-Linguistique) . Un petit détour par la PNL et ses fondamentaux permet de comprendre que le changement, toujours en œuvre de manière quasi insensible, ne nous apparaît vraiment, ne nous devient perceptible qu’au moment où nos habitudes, nos rituels, nos comportements, nos savoirs et compétences, nos croyances sont perturbés, modifiés. Notre existence, notre identité qui reposent pour une bonne part sur ces soubassements peuvent alors nous sembler menacées.


Cette observation doit pourtant nous rendre attentifs à un élément essentiel concernant notre rapport humain au changement. Dans un livre ancien mais qui redevient d'actualité « les épidémies dans l'histoire de l'homme » Jacques Ruffié et Jean Charles Sournia nous rappellent que la stabilité spécifique biologique de l'homme, à la différence des autres espèces animales (qui connaissent des mutations et des évolutions génétiques importantes ) tient à sa capacité cognitive d’articuler le changement dans des dispositifs, dans des dispositions culturelles identitaires (voir le chapitre 2 « la sélection naturelle » ) . Si ces disposition culturelles apparaissent moins robuste que les « programme génétique », elles sont néanmoins plus souples et peuvent donc évoluer en fonction des circonstances, par de nouveaux apprentissages, et aussi par le travail de la conscience. Cette programmation neurolinguistique qui nous forme et nous constitue un instant T comme résultat de notre histoire biographique s'avère malléable, reprogrammable pour autant que l'on identifie, tout à la fois les ressorts et les leviers de nos comportements, de nos croyances. C'est là notre force et notre capacité au changement.

Le « ça change » qui pouvait évoquer une certaine dépendance, soumission aux conditions de notre existence se transforme alors en une conviction, en une affirmation : «je peux changer » . Je peux être acteur du changement qui m'affecte, donc de moi-même en modifiant, en ajustant les représentations, mon comportement, mes compétences, mes pratiques, mes activités. On comprend que dans cet enchaînement ou déchaînement du changement, il y a un mouvement tout à la fois de libération de moi-même, de réalisation de moi, mais aussi de transformation non seulement de mon rapport au monde, mais du monde lui-même.

Ainsi se dessine, se décide peut-être l'édification d’ « un monde nouveau ». Cependant, immédiatement cette affirmation d'un pouvoir de changer le monde pour l'homme doit être relativisée ou interrogée à la lumière des maximes philosophiques qui font aussi le fond d'une certaine sagesse humaine :

Epictète d'abord qui distingue aux premières ligne de son manuel : « Parmi les choses, les unes dépendent de nous les autres n’en dépendent pas». Et Descartes s'inspirant des stoïciens dans sa troisième Maxime qui « était de tâcher toujours plutôt à changer mes désirs plutôt que l'ordre du monde ».


Ainsi d’emblée aussitôt affirmée notre capacité de changement est questionnée dans sa puissance et ses limites. Quel est mon territoire d'influence au-delà de mes pensées et sur lequel je puisse espérer pouvoir agir pour modeler le monde ( mon monde ? ) à la mesure de mes espérances, de ma volonté et de mes actions ? Ce territoire peut-il s'élargir et ma puissance transformatrice de l'action augmenter à la mesure des alliances, des accords qu'il m'est possible d'établir avec d'autres hommes, voir d'autres êtres vivants ou non ? Et alors à quelles conditions au regard des jeux du pouvoir existant dans tous régimes et institutions, et des lieux et postes de pouvoir, au regard des capacités de compréhension, de conviction dans les relations inter- subjectives ? Toutes sortes de jeux, sujets tout autant aux affrontements, aux désaccords et aux luttes pour définir et imposer un ordre légitime du monde. Tout semble alors bouger tout le temps en tous sens, avec de nombreuses forces à l’œuvre , comment puis-je être acteur du changement ?

Ainsi se bâtissent les sociétés, dans leurs équilibres et leurs déséquilibres, et leurs évolutions. Le plus souvent tout ceci est incrémentaliste, quasi insensible. Il faut alors faire tout un travail de mémoire, d'histoire, de confrontation d'aujourd'hui par rapport à hier pour que le changement opéré devienne perceptible. Il a pu ainsi être vécu par les uns et les autres, sans y penser vraiment, sans s'en soucier vraiment, sans qu'il était expérimenté dans une sorte de cours « naturel » des choses, où moment après moment je pouvais me positionner, me repositionner sans rupture. Bref un changement qui n'en n'est pas un. Le changement suppose pour être vécu comme tel, d'être mis au devant de la conscience. C'est alors cette œuvre de la conscience - la prise de conscience - aux conditions de possibilités d'influence de ma pensée, de mon action sur le monde, seul ou avec d'autres selon les objets et les intentions, qui me confère un degré de liberté plus grand, qui réalise ma liberté .

On le voit la le chemin qui conduit du « ça change » dans monde qui s'impose à nous, « je change » qui est là comme une forme de cogito est un chemin de libération ; le chemin qui ouvre à un monde nouveau où les meilleurs aspects de notre humanité sont appelés à s'exprimer et à se développer.

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