S'écouter soi-même ! Voici l'un des grands mots d'ordre des techniques du bien-être, au cœur bien souvent des injonctions du développement personnel. Oui, mais comment et jusqu'où ? Comment cette capacité d’auto-empathie, de force qu'elle apparaît peut-elle se transformer en faiblesse? Comment cette disposition, invitation à plus de douceur avec soi-même, peut-elle se conjuguer aussi avec la volonté stoïcienne, souvent assimilée au contraire à une forme de rudesse? Est-ce tordre la pensée stoïcienne ? Est-ce tordre au contraire la pensée positive ? Cette ambivalence de l'écoute de soi-même n’ouvre-t-elle pas l'inquiétude de fond de l’Etre ?
Faut-il ou non s’écouter ? Voici une question, une inquiétude qui peut émerger de ce souci de bien-être que nous avons dans cette recherche de la meilleure voie du bonheur. Cette voie serait telle celle de notre propre voix intérieure qu'il suffirait d'écouter? Mais que nous dit cette voix en nous ? Comment être sûr de ce qu'elle nous dit, de sa justesse ? ne faut-il pas interpréter ce qui est dit, pour le comprendre véritablement, et ajuster en conséquence son action, sa conduite ? Quelle est la nature de cette écoute de soi ? Cela fait-il partie de la méthode Midal de « se foutre la paix » ?
« Se foutre la paix », moins comme une nouvelle injonction qu'une méthode ou un principe de vie, visant à détendre la tension à être ainsi ou comme cela, pourrait là qu'il n'y a ni à s’ écouter, ni à ne pas s'écouter, mais à trouver dans cet espace d’écoute non pas une conduite à tenir mais tout simplement une voie d'équilibre, d'acceptation d'une incertitude et d'une ambivalence de notre être à être, gisant cœur même du vivant en nous. Ce qui est là à cet instant, qui peut nous préoccuper, nous blesser, nous intranquilliser, nous rendre triste ou en colère est juste un moment de notre être là, qui peut ne plus être ainsi un peu plus tard, à un autre moment. Alors faudrait-il comme une girouette suivre le vent de nos émotions passagères ? Où serait alors « la constance du sage » (Sénèque) ? Ne risquons-nous pas ainsi de trop nous écouter, en nous glissant, en succombant à nos humeurs du moment ? Notre être peut-il se constituer dans cette évanescence émotionnelle, qui est pourtant l'expression même de ce qui est vivant à nous ? Au moment de développer cette réflexion, je lis une interview de Fabrice Midal, relative à son deuxième volume de « foutez-vous la paix », où il expose « la méthode ». Même si lui aussi dit n'avoir rien contre le « développement personnel » , il en mesure aussi comme je le fais souvent également, la distance avec les principes de la tradition de la philosophie antique. Il en critique cependant le volontarisme simpliste, orienté par le souci de la performance, qui conduit bien souvent à refouler les émotions négatives comme la tristesse et la colère, au nom de ce qu’il identifie comme une « tyrannie du positif ». Cette opposition mise en scène ainsi entre « la méthode Foutez-vous la paix » et la « tyrannie du positif » , mérite d'être explorée en détail. Car au final, la dénonciation du culte de la performance, dominant dans notre société néolibérale, « vise plutôt à déjouer la pression qui inhibe la performance ou, en d'autres termes, à rouvrir la possibilité de travailler avec elle » (voir interview Le Point - https://www.lepoint.fr/societe/fabrice-midal-plaidoyer-contre-la-tyrannie-du-positif-07-09-2022-2489060_23.php) L'opposition n'est donc pas aussi tranchée qu’annoncée. Elle ouvre plutôt un espace de respiration qui permet de renouer avec cette capacité à être pleinement soi, mise en péril souvent par la volonté de contrôle total de soi. La reconnexion à toutes ces propres potentialités, passe par une forme de « lâcher prise » qui ne saurait être réduite à l'obéissance à une injonction, mais qui peut juste se comprendre comme le résultat de tourner son attention à la respiration telle qu’elle est, sans volonté, ni souci de la modifier. Ainsi l’opposition « s'écouter » versus « ne pas s’écouter » se dissout également dans cette posture consistant à ouvrir un espace de respiration, par la simple orientation de l'attention à ce qui est là. S’écouter, signifie alors tourner l’attention vers la respiration, les sensations du corps et les pensées et émotions qui s'y expriment. Ne pas s'écouter, serait alors cette posture d'être là juste dans l'observation sans volonté de réagir, ni pour conforter, ni pour réprimer, juste observer ce qui se passe, s'ouvrir à soi-même.... A bien entendre Fabrice Midal, nous pouvons nous rendre compte que nous sommes bien là au cœur de cet espace paradoxal auquel nous ouvre la méditation dans la pratique. S’écouter , n'est pas le contraire du volontarisme, trop vite collé à l'image du stoïcisme, ou là de la « tyrannie du positif » associé de manière critique au développement personnel. S'écouter, se conjugue avec une certaine dose de volonté qui ne confine pas au volontarisme, mais qui est le juste exercice de la délibération avec soi-même comme on l’a déjà vu (« Je veux ! de la volonté » ) , consistant à donner ou non son consentement à nos inclinations, selon qu’elles nous apparaissent (sont) ou non bonnes (conformes).
Nous retrouvons la voie poursuivie par Spinoza des « idées adéquates » en lien avec la connaissance intuitive :
« Celui qui a une idée vraie sait, en même temps, qu'il a cette idée et ne peut douter de la vérité de la chose qu'elle représente." (E2P43)
Ce que résume pour Fabrice Midal, la formule « Foutez-vous la paix. » Interrogé de savoir si ce n'est pas plus facile à dire qu'à faire, et donc d'une certaine manière sur le minimum de volonté à mobiliser pour passer de la pensée à sa mise en application, Fabrice Midal répond justement : « c'est au contraire à la portée de chacun ! Mais il faut accepter de sortir de cette idée de contrôle total »
Ainsi, « s'écouter » n’est pas une simple démission au regard du « vouloir » que les choses puissent être autres. « S'écouter » n'est pas se complaire dans la situation, lorsque celle-ci peut nous sembler décourageante, fatigante. C’est trouver une voie douce pour la faire évoluer à partir d'un moment présent qui peut être douloureux, en respectant les émotions de l'instant pour trouver les ressources d’une évolution plus positive, pour renouer avec la « vie bonne » chère aux philosophes antiques.
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