La peur, c'est l'ambiance palpable du moment qu'elle soit en nous ou non, elle est bien là tout autour de nous, plus contagieuse même peut-être que le virus lui-même. À se demander même, si elle ne ferait pas autant ou sinon plus de dégâts. En tout cas les amplifie-t-elle très certainement. Toutes ces mesures de confinement que l'on découvre brutalement et qui se renforcent rapidement ont sans doute aussi autant d'effets de perturbations que de protection. Nous sommes plus ou moins sonnés, déboussolés par l'inattendu de la situation. Mais cette peur ambiante poisseuse, empoisonneuse et cette situation à peine crédible, que nous cachent-elles ou plutôt que peuvent-elles nous révéler ? Pouvons-nous trouver une issue en rencontrant notre peur avec bienveillance ? La voie du coeur...
C'est là le paradoxe, les mesures de confinement qui se précisent et qui sont censées nous protéger les uns, les autres, les uns des autres du virus, renforcent aussi ce climat de peur. Or la peur-panique encore une fois , et là aussi c’est démontré scientifiquement, diminue nos défenses immunitaires et risque de nous rendre plus sensibles pour certains aux attaques virales. Faut-il s'en remettre à la seule science pour dicter nos conduites ? Il semble que cela soit là, la ligne directrice affirmée au niveau politique : suivre les préconisations scientifiques ! mais n’y aurait-il que la raison scientifique ? Peut-on aussi écouter son cœur, son intuition ? Dans d’autres cas tout aussi graves que comme le réchauffement climatique la science semble inaudible par les politique en dépit des alertes réitérées d'une catastrophe annoncée ? Mais est-ce bien l'heure d'avoir peur du changement climatique me demanderez-vous peut-être ? Notons cependant que comme le virus, il est bien là, (quasi)-invisible encore (quoique…), insidieux, bien ancré, et sans doute pour plus longtemps et avec des effets qui iront en s'amplifiant. Ce n'est pas le sujet du moment peut-être me direz-vous aussi… La peur du virus peut-elle nous cacher cependant cette autre peur ? Nous en détourner ? Nous n'allons quand même pas succomber à l'accumulation des peurs pourrez-vous contester. Faut-il fuir la peur, les peurs ? Chaque peur en son temps… !... ? Peut-être...là encore tentons de suivre notre coeur.
Oui les questions ne manquent pas dans ce trouble dans lequel nous pouvons être. Mais alors que faire ? Que faire lorsque nos repères habituels sont perturbés ? Ce ralentissement de la vie « ordinaire » peut alors paradoxalement être une chance en libérant ce temps dont beaucoup se plaignent ne pas avoir. Prendre le temps de se poser, et de se poser les bonnes questions devient possible … et troublant aussi peut-être, car nous n’y sommes pas habitués. Et ce n'est pas comme les vacances qui résonnent comme un temps de relaxation et de loisirs. Là l'esprit est préoccupé. Mais c'est l'occasion le prendre le temps pour reconnaître combien et comment nous sommes troublés, identifier ce qui dans la situation nous pose question. Chacun reconnaîtra sa propre combinaison d'incertitudes, d'inquiétudes, lié au travail, aux enfants, à l'argent, au vieux parents, aux projets menacés, à des événements attendus, reportés, annulés… Alors peuvent apparaître les raisons profondes, les mécanismes mêmes de la peur. À chaque fois on pourra constater que le trouble provient d'une perturbation dans l'ordre des choses établies et programmées. Il y a une rupture de la normalité, du prévu, du prévisible, de l’attendu, ouvrant un espace inconnu d’indétermination. Le tissu même de nos relations affectives, amicales, sociales se trouve affecté. Nous comprenons alors combien nos vies tiennent dans une trame plus ou moins serrée - et d'autant plus rassurante qu'elle est serrée. Nous nous apercevons alors que notre humanité dans sa vie humaine est ainsi faite des liens et des attachements qui nous orientent à chaque instant, qui sont constitutifs aussi du social. Or le relâchement de ces liens nous laisse perdus, désorientés ; diminue notre être et le rend incertain. C'est comme si l'on nous demandait de traverser la rue les yeux fermés. Comment faire ? Ouvrir son cœur et tous ses autres sens, trouver en soi la confiance, dans la certitude que même relâchés les liens sont là comme la corde dans une cordée de montagne . Michel Serres dans la dernière partie de son livre « Le contrat naturel » , nous dit de belles choses à propose de « Cordes , dénouement »…
« Le sujet qui marche, escalade, cramponne, passe ou ne passe pas, ce n’est pas lui ni vous ni moi, c’est la cordée, c’est-à-dire la corde »
Ainsi nous pouvons avancer et rencontrer la peur pour mieux la traverser, sachant que nous sommes tenus et soutenus par ceux à qui l'on tient. Car il est des moments, des situations où l’issue nous oblige à avancer entre tous les dangers qui s'annoncent devant nous en conscience tel Ulysse au moment de sa traversée entre Charybde et Scylla. Nous voyons bien qu'il nous faut avancer, que nous ne pouvons rester sur place figés, ni fuir d'un autre côté. Devant nous le risque, d'un côté de la contamination si nous continuons à nous côtoyer de trop près ; et d'un autre côté le risque de l'isolement social qui nous apparaît comme le tourbillon que tout dans notre société nous apprend à fuir - grande question ! Mais dans le chant 12 de l'Odyssée Ulysse demande à Circé qui lui dit d’éviter à tout prix le tourbillon mortel de Charybde, s'il est possible de vaincre Scylla. Mais Scylla est immortelle et la seule solution est de prier Crataïs sa mère afin de ne pas succomber à Scylla.
(pour écouter un extrait de ce beau chant : https://www.youtube.com/watch?v=-9ypJMgB38A)
Que pouvons-nous faire d'une telle image mythique ? Peut-être comprendre comme Pascal le reconnait déjà en son temps :
Sans doute dans notre monde devenu frénétique, les choses sont-elles pires encore avec cette loi du « Divertissement ». Il y a là pourtant une véritable opportunité en rencontrant la peur, de reconnaître, de comprendre que notre isolement n'est qu'apparent. Il n'est qu'un sentiment, une impression désagréable provoquée justement par le remou de la peur. En l'observant avec attention ces ondes de solitude et leur point d'origine, nous pouvons alors nous rencontrer nous-même et habiter cette solitude. Ce dont nous détourne constamment la vie sociale envahissante à bien des égards par ailleurs. Ainsi pouvons nous nous poser. Notre méditation est ici notre prière à Crataïs.
Ainsi est-il possible de mettre notre cœur à nu, à vif. Le premier moment de cette opération peut apparaître angoissant car il nous semble alors que nous sommes sans protection, comme un chevalier sans armure. Cependant avec douceur et bienveillance, nous pouvons alors nous sentir véritablement vivant, libéré de notre carapace sociale. La vie ce n'est pas être tout le temps en mouvement. Le silence et l'immobilité d'une certaine solitude nous ouvrent aussi à ce qui est profondément vivant en nous. Ainsi l'isolement peut ne pas être vécu comme une prison, comme une privation de liberté, mais au contraire comme une occasion de retrouver la vie, comme une libération.
Fabrice Midal rappelle que son maître de Méditation Chogyam Trungpa disait que « cette nudité du cœur est le germe de toute compassion » , car la véritable compassion n'est pas un altruisme grandiloquent, mais une acceptation d'être touché et meurtri par ce qui nous arrive, car là est la porte de la compréhension de l'attention bienveillante à ce qui touche et meurtri l'autre.
« sentir qu'on est à vif, c'est aussi sentir qu'on est en lien avec le monde, qu'on est touché par le monde . »
Fabrice Midal : Comment méditer à l’âge du Covid 19 , https://www.youtube.com/watch?v=fYT2KwcxkSA(voir minute 39 et suivantes)
Ainsi cette pensée, ce sentiment que « le monde est arrêté » peut laisser place à cette prise de conscience « je suis vivant , le monde est ce que j'en fais ».
Le cœur mis à nu par cette rencontre qui est une traversée de la peur nous révèle l'espace d'une liberté d'être au monde nouvelle.
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