top of page
Photo du rédacteurThierry Raffin

Lâcher l'égo et le mental pour vivre

Ah l'égo ! On y revient sans cesse ! Toujours là ! La question qui vient (ou pas) après ces constats en forme d'exclamations est souvent "Comment s'en débarrasser ?". Les réponses données à cette question nous apparaissent alors contradictoires. Si l'on prête l'oreille du côté des sagesses orientales, il nous semble que l'on entend (avec un peu d'inquiétude, et en se trompant) qu'il faut "tuer l'égo"... D'un autre côté, lorsqu'on s'adresse aux psycho-thérapeutes (suivi en cela par les promoteurs du développement personnel) on croit comprendre (avec un peu d'espérance et en se trompant) qu'il faut au contraire "fortifier l'égo" pour gagner en confiance en soi une des sources du bien-être. Qui croire ? que croire ? Peut-on sortir de cette apparente contradiction ?


Nous avons déjà abordé la question de l'égo, lorsqu'on s'est posé la question de savoir : "S'aimer soi-même est-il un bien ?" et aussi lorsqu'on évoquait "l'émoi du moi". Déjà on a pu voir à travers ces deux articles que les auteurs auxquels, on peut se référer ici (Fabrice Midal, Françoise Bonardel) avaient plutôt le souci de cultiver de manière subtile "l'amour de soi bien entendu". Cette fois si je m'appuierais sur une conférence récente de Frédéric Lenoir sur la méditation lors du Colloque de l'Institut supérieur de naturopathie au début de l'année 2018, pour comprendre qu'elle peut être la bonne mesure de l'égo.

Il part d'un constat que l'égo est incontournable, qu'il se développe comme le montrent les pédo-psychiatres dès les premiers mois de la vie pour cette raison qu'il participe avec le mental du système de protection que les hommes ont développé pour vivre. Dans la relation avec sa mère le petit d'homme comprends qu'il en est corporellement séparé, et à mesure que son intellect se développe il élabore des pensées qui vise à assurer aussi sa sécurité émotionnelle. Donc l'égo est nécessaire, mais Frédéric Lenoir précise alors que ce système de protection est plutôt un dispositif de survie. Il distingue là le fait de "vivre" du mode de "survivre". Pour lui, il ne s'agit pas donc de tuer l'égo, au risque de perdre sa capacité de survie, mais de "lâcher l'égo pour vivre". Au passage il raconte des anecdotes piquantes sur des maîtres de sagesse qu'il a rencontrés et dont il a pu constater qu'ils sont aussi (parfois) sous l'emprise de l'égo ... pour écouter ces anecdotes iconoclastes je vous renvoie à la vidéo de la conférence : https://www.youtube.com/watch?v=ptAHwgiWdQM


Image empruntée à www.maitrezen.fr

Lâcher l'égo, c'est acquérir une capacité à prendre de la distance avec cet égo qui constitue notre réalité conventionnelle. C'est apprendre à ne pas adhérer toujours aux réactions spontanées et aux injonctions de l'ego que notre mental relaie en permanence ; à ne pas s'identifier à cet égo, pour élargir le moi du côté du Soi, c'est à dire d'un autre niveau de réalité qui nous relie à quelque chose qui dépasse notre individualité physique et psychique. Encore une fois nous rencontrons cette question de l'apprentissage, des exercices, de l'entraînement. Frédéric Lenoir le répète aussi, la méditation est une pratique qui peut permettre de développer cette dés-identification au "petit moi", de prendre de la distance avec l'égo. Et il insiste aussi pour dire que le cerveau est sensible à la répétition régulière (quotidienne) de l'exercice ("mieux vaut méditer 10 minutes par jour que 2 heures toutes les semaines").

Ainsi par la voie de la méditation, on peut apprendre progressivement la connaissance de ses états et ressentis émotionnels : passer par exemple de l'expression réactive d'un sentiment de colère ("se m-être en colère") à l'observation de son état ("tiens je suis en colère"), à la compréhension des ce ressenti ("tiens je ressens de la colère"), puis à la distance à l'égo ("tiens il y a de la colère").

Alors il devient possible d'exercer ce qui nous apparaît comme une liberté - et qui serait plutôt une libération (mais on reviendra sur ce thème de "ma liberté"...) - en identifiant le processus de la colère et en décidant intentionnellement de la manière de laisser ou non la colère s'exprimer en vue d'un résultat dans la relation à autrui (ou à soi).


On retrouve là encore la voie aussi des philosophes stoïciens dont les exercices spirituels visaient à cultiver le discernement et à décider de donner (ou non) son assentiment à une pensée, une idée, une émotion au regard de ce qui est juste. Ceci opère par un dialogue intérieur où il s'agit d'écouter la voix intérieure du "Daïmon" qui peut être rapproché de ce que les stoïciens appelaient "l'hégémonikon" (la partie directrice de l'âme). Dans un article spécialisé sur cette approche de l'intériorité chez les stoïciens Frédérique Ildefonse commente ainsi certains passages des "Pensées pour moi-même" de l'empereur romain stoïcien Marc Aurèle :


« La partie dirigeante de l’âme, c’est ce qui s’éveille soi-même, ce qui se modifie soi-même, ce qui se fait soi-même tel qu’il veut et ce qui fait que tout événement lui apparaisse tel qu’il le veut » (Marc Aurèle, Pensées pour moi -même VI, 8). La partie dirigeante n’est pas donnée, elle est modifiable, et il est en mon pouvoir d’agir sur mon âme et de la façonner : « À quoi donc fais-je en ce moment servir mon âme? À chaque occasion se poser de nouveau cette question et examiner ce que j’ai en ce moment dans cette partie qu’on appelle dirigeante et de qui j’ai l’âme en ce moment. N’est-ce pas celle d’un petit enfant? d’un adolescent? d’une femmelette? d’un tyran? d’une bête de somme? d’une bête sauvage? » (V, 11)(2). On peut se composer l’âme qu’on veut. Face à l’extériorité des choses, qui ne peuvent ni changer notre âme, ni la mouvoir, c’est l’âme seule « qui se transforme elle et se meut elle-même » (Marc Aurèle, Pensées pour moi -même V, 19). (la suite de l'article ici en téléchargement pdf : https://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=RDES_043_0058 )


"Entrer en soi-même" par la méditation nous ouvre ainsi un paysage intérieur où peut cesser l'adhérence à cet égo qui voudrait nous faire croire à une unité du moi ; c'est bien plutôt une multiplicité intérieure qui est là, la source de nos tensions et de contradictions suscitées par le jeu de l'égo. Il s'agit de discerner la voie-voix juste parmi toutes celles qui se présentent en la laissant prendre par sa force propre le pas sur toutes celles qui ne sont pas adéquates. Ce discernement c'est donc le travail de l'âme elle-même sur elle-même qui devient possible en calmant-lâchant le mental. Il y a là ce qu'on appellerait aujourd'hui une forme d'intuition. Il n'y a pas de raisonnement au sens logique et rationnel du terme - le mental dans ses errements du jeu passion/raison - , mais bien plutôt une ouverture permettant d'exercer la volonté de l'âme dans l'acceptation du réel, de vouloir ce qui est là, plutôt que de se laisser aller à la soif du désir des choses qui ne dépendent pas de nous.

Lâcher l'égo permet de passer d'une attitude où l'on est le jouet de la loi de l'attraction/répulsion ("j'aime / j'aime pas") ancrée en nous par l'enregistrement expérientiel dans notre "corps-esprit" de réactions adaptatives de défense (qui finissent par échapper à notre conscience et à notre volonté), à une attitude où la conscience des situations et de notre rapport aux événements et aux choses, nous permet d'apporter un jugement sur l'adéquation ou non de nos réactions ; et de les modifier (si nécessaire) en conséquence.


Spinoza, un autre philosophe à l'aube de notre modernité, s'inscrira dans cette lignée de pensée et en contrepoint de Descartes cherchera à dépasser le "je pense donc je suis" en faisant place à cet autre mode de connaissance : l'intuition (Voir "Les 3 formes de la connaissance selon Spinoza") ouvrant le chemin de qu'il appelle "la béatitude" et qui est la connexion à la Joie et à la Vie, qui augmente notre puissance d'agir.


Ainsi en permettant de lâcher l'égo et le mental, la méditation nous permet bien d'accéder à la Vie en nous et autour de nous et de dépasser l'état de la séparation (l'égo).

19 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Comentarios


bottom of page