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"Lâche prise ! Sois Zen..."

Dernière mise à jour : 3 juin 2019

La pratique de la méditation est-ce chercher à être zen, à lâcher prise, à devenir calme ? La question est troublante, voire dérangeante ; et c'est bien de le ressentir ainsi plutôt que de répondre « oui » sans l’ombre d’un doute. Troublante, car le mot méditation résonne si bien avec le mot ZEN. D'ailleurs n'existe-t-il pas un courant de méditation zen. Celle-ci ne serait-elle pas une école de calme et de sérénité ? Pour sortir du trouble sans doute faut-il approfondir cette question de « être zen ». De quel sens le zen a-t-il été investi dans notre culture en décalage avec la tradition japonaise ?



Encore une fois il s'agit d'interroger ces conseils bienveillants que l'on peut entendre autour de nous rituellement lorsque nos réactions, nos comportements sont dominés par un état de stress. « Lâche prise ! Sois Zen ! » … « oui facile à dire… » est-on tenté de répondre. Qu'est-ce qui se joue là au travers de cette bienveillance convenue ; et finalement un peu maladroite ? Pour celui qui cherche ainsi à apaiser le stress ; il y a tout un mélange d'émotions et de sentiments : de la peine et de l'empathie d'abord, de voir ainsi un proche souffrir de pensées ruminantes ; mais aussi sans doute un mélange de tristesse et de colère contenues face à cette impuissance ressentie (peut-être à tord ?) à soulager une telle souffrance ; et qui peut même finir par une forme d'agacement et d'énervement où l’injonction « lâches prise » raisonne un peu peut-être à l'oreille de celui qui la reçoit comme un « mais calme toi donc un peu… » qui apparaît alors peu compatissant. Et celui qui sombre alors dans le stress comme dans une détresse sans nom et sans fond, dans un désarroi de l’être peut être alors ressentir à son tour de l'agacement, de l'irritation, de l'énervement, de la colère qui peuvent finir par éclater en tristesse infinie : « tu crois que c'est facile toi de lâcher prise comme tu dis et de rester zen quand on se sent si mal en soi ? » et qui peut raisonner de ce manque de compassion réelle en une sorte de «j'aimerais t’y voir à ma place… » formulé ou non.

Bref avec de tels sous-entendus plus ou moins bien enfouis , « rester zen » devient une mission impossible. Sans doute est-il aussi difficile de vouloir lâcher prise qu'il est difficile de se contraindre à dormir quand le sommeil ne vient pas. Que peut-on comprendre alors par « lâcher prise » ? s'agit-il de trouver le chemin ou le passage qui nous conduirait à une sorte de Nirvana conçu comme un lieu secret permettant de rester impassible à toutes choses, dans un état permanent et stable de béatitude, quelles que soient les circonstances ? Ou est-ce réussir à exercer et fortifier sa volonté de telle sorte que plus rien ne puisse nous atteindre comme dans cette image puissamment établie de l'attitude stoïque qui permet de s'enfermer dans une « citadelle intérieure » ;

Faut-il suivre Fabrice Midal qui dénonce lui aussi régulièrement cette conception de la méditation comme « moyen de se calmer, de lâcher prise, d'être zen » et qui critique tout autant l'ataraxie et le contrôle de soi proposés comme modèles de sagesse par la philosophie antique, au nom d'une certaine artificialité venant nier notre nature humaine ? J'y reviendrais...[c'est fait , c'est ici : "Gérer son stress" - Se contrôler ou pas : https://enviedebienetre.wixsite.com/enviedebienetre/blog/se-contr%C3%B4ler-ou-pas ]


Pour répondre à ces questions il peut être utile de faire un détour pour comprendre ce qui peut vouloir dire aujourd’hui « être zen ». L’image de la « zénitude » peut se donner à voir aisément aujourd'hui dans le miroir du mur d'images qui apparaît au mot « zen » tapé dans le moteur de recherche de Google.




Images convenues de galets empilés, reposant dans des jardins de bambous verts, sur des sables blancs ratissés de sillons parfaitement parallèles, de lac miroitants comme des écrins de calme au creux des montagnes enneigées, de fleurs de lotus éclatantes flottant sur des bassins d'eau ondulantes, de femmes filiformes comme des ombres chinoises en position de lotus et méditant sur des plages miroitantes aux levers de soleils matinaux. Les silhouettes en noir et blanc de moines drapés et figés dans leurs robes noires assis en zazen comme des montagnes austères comme celle archétypique de Maître Deshimaru sont plus rares.

Cette imagerie bucolique et doucereuse du zen à la mode occidentale contraste étrangement avec une certaine rudesse de la tradition du zen. On peut trouver pourtant une toute autre image dans les écrits du docteur Suzuki dans ses « essais sur le bouddhisme zen ». Dès le premier chapitre on accède à un aperçu de l'essence même du zen dans ce qu'il peut avoir de tranchant et d'exigeant envers soi et les autres, à l'image de Iun-Mên grand maître du zen à la fin de la dynastie Tang, perdit sa jambe tu fais de l'intransigeance de son maître Mou-Tcheou. Une telle hagiographie du Zen fonctionne un peu comme les koans où l’irrationalité et le caractère inconcevable d'une chose ou d'un événement permettent de briser les illusions nourries par l'intellect et ouvrent la porte de la libération purificatrice de la vie. La compréhension émerge irraisonnée de cette confrontation de deux choses en apparence opposées ou incohérentes entre elles, par laquelle il devient possible de les faire tenir ensemble.

Ainsi l'image du « lâcher prise » associée au zen est-elle profondément travestie par le fait que « lâcher prise » ce n'est pas tant ne plus se soucier d'une chose source de souffrance qui nous parait renier le principe vital ; mais faire tenir ensemble la vie et la souffrance, par-delà le désir de choisir l'une à l'autre. Bien loin qu'il faille lâcher, il convient donc de tenir.


Quid alors de la béatitude et du contrôle de soi ?

On le comprend « devenir zen » ce n'est pas simplement réussir à imprimer en soi le sourire de la béatitude par un simple contrôle de soi volontaire. Il faudrait pour cela trouver une énergie infinie pour réitérer d'instant en instant cette force de simulation. Cela ferait alors de notre zénitude un plaquage à la fois sur-humain et fragile. Et si la force du Zen était au contraire dans le rayonnement même de notre humanité , puisée au centre même de notre être qui transcende notre intellect et notre raison . La volonté ne peut s'exercer en permanence si elle ne se nourrit pas dans l'exercice de nos vertus humaines que sont la patience et le courage. Peut-être même que cette volonté que l'on prête toute faite comme une pure manifestation de l'âme stoïcienne rationnelle - l'hégémonikon - ne peut-elle se former et s'affirmer que par l'exercice de notre capacité à différer la réalisation de nos désirs (la patience) et dans l'acceptation qu’ils puissent être contredits (le courage). Il faudrait creuser plus avant cette notion de volonté (un prochain article…) sur un plan philosophique et pratique. Peut-être comprendrait on mieux alors comment le contrôle de soi ce n'est pas le simple résultat d'une technique – fut-elle liée à un exercice respiratoire dont la science après des siècles de pratique orientale yogi découvre la vertu parasympathique dans la relation corps-esprit.

La gestion du stress et des émotions est régulièrement présentée de manière rapide comme une application positive de batterie de trucs et de recettes de magazines. Ceci aboutit à faire de la méditation une simple technique pour se calmer, pour être zen, pour lâcher prise ou évacuer les pensées négatives. En réalité c'est à la fois plus simple et plus compliqué. Plus simple car il n'y a rien à faire, nulle force ou volonté à arc-bouter comme l'on banderait un arc, sinon celle de s'asseoir ; plus compliqué car ne faisant rien que s’asseoir, il convient de tenir l'assise, de ne pas lâcher. Et là s'expriment alors du cœur de l'être, la patience et le courage de tenir ainsi sans rien faire, sans rien chercher, d'observer alors aussi ses pensées négatives qui nous traversent et juste les laisser traverser ou être là. Alors tout cela s'agence par la patience et le courage comme expression même de la vie en nous. Il y a là la puissance alchimique de l'acceptation (https://enviedebienetre.wixsite.com/enviedebienetre/blog/c-est-inacceptable ) de ce qui est là qui nous libère de l'illusion. Ainsi la souffrance peut-elle se transmuter en joie ; opération incompréhensible par le seul exercice de l'intellect mais qui se réalise dans l’exercice pratique de l’assise. Le sens profond de cette pratique est bien d'éprouver notre présence dans ce monde-ci ( matériel, illusoire, relatif) qui est celui de notre incarnation. Ainsi fait-on l’expérience comme l’explique Alexandre Jollien que le nirvana n'est pas hors du samsara comme l'affirme Nagajuna selon la tradition du Mahayana


Ce n’est que la vision pénétrante qui permet au samsara de briller comme nirvana ; de comprendre que nous avons tout d'abord juste à vivre notre vie avec tout ce qu'elle contient ; à juste nous exercer à être pleinement humains ; à intégrer le yin et yang, notre féminité et notre virilité dans un même mouvement. C'est bien ce qu'on lit dans le chapitre introductif selon Suzuki sur les conditions morale du zen libérateur :


« La bataille doit faire rage dans sa vigueur et sa virilité totale , sinon quelle que soit la paix qui règne elle n'est qu'un simulacre sans fondation profonde et que la première tempête abattra. Le Zen est tout à fait formel et plein d'insistance sur ce point. Certainement la vérité morale qu'on y trouve en dehors de son envol mystique, vient de ce qu'il livre avec un courage indomptable la bataille de la vie. »

Ainsi « lâcher prise » ne saurait être le simple résultat d’une simple observance immédiate d’une injonction qui consisterait à s’abandonner dans le calme de l’inaction, c’est bien plutôt « renoncer à la résistance intérieure qui s’oppose à ce qui est. » comme le détaille avec clarté Eckart Tollé dans « le pouvoir du moment présent »

- voir le texte : https://www.wengo.fr/voyance-astrologie/blog/1356926/4457-la-signification-du-lacher-prise-extrait-le-pouvoir-du-moment-present-eckhart-tolle



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