On entend souvent autour de nous, « nous vivons dans un monde dangereux », et nos vies sont alors réduites et soumises au régime de la peur. La situation de « crise épidémique » du moment conforte bien sûr ce sentiment. Et selon le fameux« triangle dramatique » ( le triangle de Karpman ), nous sommes alors entraînés facilement dans des jeux (dangereux ) où s'affrontent des « bourreaux », des « victimes » et des « sauveurs ». Comment comprendre cela ? Comment réussir à sortir de ce piège, de ce cercle infernal ? Peut-on « voir autrement les chose » ? Et si le triangle dramatique était aussi un « triangle de sagesse » ? Et si un tel point de vue « positif » nous permettait de trouver une porte de sortie par la compassion ?
Commençons par rappeler les subtilités fondatrices du « triangle dramatique de Karpman » à partir d'un exemple. L'infirmière venait de passer pour organiser comme chaque vendredi le pilulier pour la semaine et cette fois-ci pour faire un vaccin à la vieille dame. Et voilà que celle-ci profite du passage de son fils ce jour là pour se plaindre : « celle-là je ne l'aime pas . Et puis elle m'a fait mal avec sa piqûre ». Le fils entends la plainte comme une nouvelle gérémiade, « comme toujours ! ». Il sait aussi que l'infirmière s'est plainte d'avoir été maltraitée et agressée verbalement par sa mère plusieurs fois déjà : « qui a tort ? » , « qui dit vrai ? ». Est-ce les bonnes questions ? comment les choses se sont-elles encore passées ? Quels sont les ressentis ? Tout cela peut-il s'accorder ? Quel sens donner à tout cela ? Les questions sont là, mais le fils se trouve pris dans ce tourbillon de paroles blessées, blessantes, de ressentis amers et douloureux. Tout cela vient alors alimenter le tourbillon avec des mots qui s’ajoutent aux maux : « mais tu sais maman, l'infirmière elle est là pour ton bien, pour t'aider. Ce n'est pas bien, pas normal de l'envoyer balader ». Sa mère se sent remise en cause et se défend en accusant encore et encore : « mais c'est elle ! Elle m'a fait mal et puis elle veut me commander. Je ne suis pas une petite fille. C'est normal que je me défende ». Le fils : « Mais non, elle ne vient pas pour te faire du mal, mais du bien. Si elle vient c'est pour préparer les médicaments car sinon tu ne les prends pas, tu oublies et tu te retrouves à l'hôpital ; alors tu devrais plutôt lui être reconnaissante, lui dire merci ». La mère regarde son fils surprise, en colère un peu aussi : « mais voilà tu prends son partie, tu me rouspètes toi aussi et c'est moi la mauvaise femme ! Est-ce que j'ai été une mauvaise mère... ? ». Le passé, le présent se mélangent, et les positions tourbillonnent sans fin. Comment arrêter ce flux de paroles et d'émotions ? À quoi jouent-ils ? à quoi jouons nous ainsi souvent ? Karpman, à partir des catégories de l'analyse transactionnelle ( préférence) nous aide à comprendre ce triangle où se confrontent « Victime » (V), « Persécuteur » (P) et Sauveur (S). On voit bien dans l'exemple réel cité qu'il n'y a pas une infirmière persécutrice, une vieille dame malade et victime, et que son fils viendrait comme un sauveur... Les choses sont plus troubles, les rôles plus mélangés. Bien sûr l'infirmière n'est pas un bourreau même si la plainte de la vieille dame vise à la faire apparaître comme tel, parce qu'elle se présente en victime à son fils. Et c'est peut-être sa mère qui était persécutrice de l'infirmière venue dans son rôle de sauveur et confrontée à la mauvaise humeur de sa patiente prise dans sa souffrance morale et physique. Et le fils, interpellé comme Sauveur par sa mère ne répond pas à ses attentes. Il lui apparaît alors comme un nouveau « bourreau », alors que lui-même d’efforce d’aider en cherchant à redresser, à arranger la situation. Mais tout cela est interprété et c'est comme s’il mettait de l'huile sur le feu ; sa mère continue à jouer les victimes, et se faisant se fait paradoxalement le « bourreau » de son fils qui y voit une accusation d'insensibilité au sort de sa mère.
On le voit bien dans cet exemple, le triangle infernal fonctionne à plein dans le dialogue entre la mère et le fils avec une troisième protagoniste absente sur le moment - l'infirmière qui apparaît ici comme un bouc émissaire en quelque sorte. Dans ce dialogue le fils et sa mère s’apparaissent tour à tour « Victime » , « Persécuteur » et « Sauveur ». Et le fils qui finit aussi par se sentir persécuté par sa mère n'attends plus alors qu'une chose, qu'elle vienne à son secours en reconnaissant qu'elle comprend qu'il veut l'aider. Ce qu'elle fait à sa manière en ré-accusant l'infirmière de maltraitance : « oui toi tu es peut-être là pour m’aider…mais l’infirmière…. ». Ainsi le jeu peut durer longtemps jusqu'à épuisement des protagonistes et donc jusqu'à leur silence qui ne règle rien, chacun ayant accumulé des « timbres » pour la prochaine altercation qui viendra en résonance.
Peut-on s'en sortir ? Peut-on prendre de la distance ? ! Vous noterez le « ! » après le « ? »... pour dire la possibilité te répondre « oui » à la question. Il s'agit donc de « positiver » dans tous les sens du terme : Oui on peut s'en sortir, prendre de la distance, en prenant de la hauteur, en voyant le côté positif des choses. Dans le feu de l'interaction nous nous tenons qu'à une seule pointe du triangle à la fois , même si nous en changeons dans la dynamique de la rotation des rôles de « Persécuteur », « Victime », « Sauveur » ; et nous ne voyons et retenons que la douleur de la dramatisation des positions. Il est cependant possible d'utiliser la la technique du « méta- miroir » de la PNL ( Programmation Neuro-Linguistique ) pour comprendre les autres points de vue, explorer les positions perceptuelles des différents rôles ( P-V-S). Au lieu de rester uniquement dans ma peau ( position ), je peux faire l'effort de me mettre dans la peau (position ) de l'autre, des autres, voir les choses de leur point de vue . Il y a une troisième position possible encore dite « méta » qui consiste à adopter une position d'observateur, un peu en dehors, un peu « au-dessus » et à voir le jeu qui se joue, à voir ainsi le triangle dramatique, cette spirale de douleur infernale, se constituer et se reconstituer en permanence par le jeu même des interactions, l'échange des positions. En voyant le triangle dans son entier, dans sa dynamique et non plus simplement par l’une de ses pointes, il devient possible d’en apercevoir ainsi les aspects positifs qui peuvent lui donner aussi sa dimension de « Sagesse ». C'est ce que j'ai commencé à faire en décrivant mon exemple, de l'infirmière et de la vieille dame au début de cet article. On pourrait alors voir aussi toute la dimension compassionnelle de ce triangle dramatique ; compassion pour les autres « acteurs » du triangle mais aussi compassion pour soi-même. L'infirmière n'est pas là pour torturer la vieille dame, on ne comprends bien, mais peut-être cherche-t-elle à se protéger de la douleur de celle-ci qui transpire sous forme d'agressivité. Et cette vieille dame peut-être cherche-t-elle aussi à se protéger de sa propre faiblesse en refusant sa dépendance par l’expression d’une colère profonde qui la rend acariâtre et désagréable pour les autres. Le fils qui vient en soutien de l'infirmière comprend combien il peut être difficile de venir en aide à sa mère perdue, enfermée dans sa souffrance, toute en douleurs et plaintes. De cela aussi il se protège en secouant un peu sa mère. Et chacune des protections que les uns et les autres élèvent ainsi n'acceptant pas d'être victimes, attisent d'une certaine manière pour l'autre son aspect « bourreau ».
C'est donc bien ce cercle infernal au centre du triangle dramatique qu'il faut chercher à transformer en cercle de la compassion . Prenons la position du fils que je pourrais être avec sa « veille mère » . Au moment où je m'efforce de l'aider en la « secouant » un peu pour tenter de la faire sortir de son enfermement dans le cycle douleurs-plaintes et où je reçois sa colère ou son : « tu ne me comprends pas, tu n'es pas à ma place. Tu verras quand tu auras mon âge ! », je dois cultiver tout ensemble l’empathie pour sa souffrance et en dépit de ses remontrances de la gratitude pour moi-même, conscient de faire cela pour l'aider, sans lui « en vouloir » et aussi prendre conscience que je peux lui apparaître comme un nouveau « bourreau » pour elle. Cette conscience « méta » de la situation doit me permettre de la verbaliser pour la partager au mieux : « Je vois bien que tu as le sentiment que je te fais du mal, que je ne te comprends pas. C'est difficile pour moi aussi. Je vois bien que tu souffres et cela ne doit pas être facile pour toi mais il me semble que te plaindre ne t’aide pas vraiment. Rassure-toi, je ne nie pas tes douleurs. J'aimerais seulement que tu puisses voir aussi le bon côté des choses, tu es entourée, accompagnée de personnes qui cherchent à t'aider. Le voir, le reconnaître, le dire ferait du bien à ces gens qui t'aident, qui t'aiment. Et cela te ferait aussi du bien à toi. Tu ne crois pas ? » .
On peut observer que cette face pour ainsi dire cachée du triangle dramatique, ou sa partie immergée, est comme un « triangle compassionnel ». Il apparaît lorsqu'on utilise le vocabulaire et le style de la Communication Non Violente (CNV). Celle-ci est un moyen de sortir du cycle infernal, de l'inverser peut-être en cercle vertueux.
« Lorsque vous faite ceci, j’appelle ça le Triangle de Sagesse, car vous seriez un être très sage et un être de compassion comme Bouddha dans sa Compassion inébranlable ! Bon vous pouvez faire quelques erreurs de temps en temps – mais lorsque vous réussissez l’exercice, pardonnez-vous et pardonnez à l’interlocuteur. Cette sagesse d’approche demande des années de pratique. » Stephen Karpman
Il ne faut pas là désespérer du temps à y passer ; juste se rassurer que chaque occasion est un pas fait dans la bonne direction, et le moment de s'y exercer et s'y entraîner pour apaiser les relations pour un meilleur équilibre. https://www.ithaquecoaching.com/articles/du-triangle-de-karpman-a-lequilibre-relationnel-la-triplette-prosociale-7646.html
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