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Photo du rédacteurThierry Raffin

La terre s'effondre... J'ai peur ! Suis-je normal.e ?

Dernière mise à jour : 14 nov. 2021

Les articles, les émissions, relatifs à la solastalgie et à l'éco-anxiété se multiplient dans les médias. Ils font écho aussi aux sondages qui se succèdent et qui montrent l'importance et l'intensité des craintes, inquiétudes, peurs, angoisses relatives à l'effondrement. Ce dernier mot lui-renvoie dans l'imaginaire et les commentaires à la catastrophe ultime : La fin du monde !

Autre phénomène que l'on peut observer, les psychiatres sont mobilisés, par les « patients » bien sûr, mais aussi par les journalistes à titre d'experts pour nous dire « ce qu'il se passe »,pour expliquer le phénomène. Cela renvoie je crois à une question de fond que les uns et les autres confrontés à ces troubles éco-anxieux peuvent se poser : « suis-je normal.e ? »


Pieter Schoubroeck : La destruction de Sodome et Gomorrhe

Cette question repose sur le présupposé normatif que devrions «nous sentir bien ». Cette sorte d’ injonction au « bien-être » alimenté par le courant puissant du « développement personnel » attise paradoxalement un possible sentiment de mal-être : comment puis-je me sentir bien lorsque je vois ce que je vois, le réchauffement climatique, la perte de la biodiversité, l’extinction des espèces , au travers des images du monde, des rapports des experts, mes propres ressentis?

Le phénomène n'est pas totalement nouveau. La solastalgie - nom que l'on donne aussi à cette inquiétude douloureuse de perte de son habitat ( la terre ) - est un néologisme élaboré par le philosophe australien Glenn Albrech en 2003 et popularisé dans son ouvrage « Les émotions de la terre » (https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-idees/nous-et-les-autres-34-glenn-albrecht-quadvient-il-de-nous-lorsque-la-terre-nous-manque)

La diffusion récente de ce nouveau mot, apparaît comme un véritable phénomène médiatique bien perceptible au travers des requêtes sur Google qui enregistre ainsi plus de 500 % d'augmentation des interrogations sur ce thème de l'éco-anxiété entre août 2020 et août 2021. La question « que puis-je faire au sujet du changement climatique ? (en anglais) a même enregistré + 2600 %, dans la semaine suivant « l’alerte rouge sur l'humanité » lancer par le GIEC en amont de la COP 26 à Glasgow (https://www.france24.com/fr/plan%C3%A8te/20210809-alerte-rouge-pour-la-plan%C3%A8te-le-rapport-alarmant-du-giec-sur-le-climat) Comme le note un article sur le sujet dans le numéro spécial du Courrier International (28 octobre au 3 novembre) « Cette éco-anxiété qui nous submerge » alimente « la mise en place de nombreux groupes de soutien psychologique liés à l'urgence climatique ». L'article note que « l’éco-anxiété n'est pas encore officiellement reconnue comme un trouble mental » , mais « ce phénomène est de plus en plus pris au sérieux par les professionnels de la santé mentale » . (https://www.courrierinternational.com/article/crise-climatique-cette-eco-anxiete-qui-nous-submerge )

Y aurait-il là un effet épidémique , l'émergence d'une nouvelle pathologie , liée en particulier au réchauffement climatique ? Faut-il ouvrir une nouvelle entrée dans le DSMV (manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de l'Association américaine de psychiatrie ) ? S'agissant de l'éco-anxiété comme « concept » comme le note Alice Desbiolles auteur d’un livre récent sur le sujet - Exo-anxiété. Vivre sereinement dans un monde abîmé – « le corps médical, notamment les psychiatres, est en passe de se l'approprier » . Ainsi des psychiatres américains ont créé la Climate Psychiatry Alliance qui a pour mission de « sensibiliser la profession et le public aux risques urgents de la crise climatique et aux impacts profonds sur la santé mentale et le bien-être ». Ainsi tout semble concourir à alimenter cette confusion qui existe souvent entre « l’anormal » et « le pathologique ». Comme le rappel le psychosociologue David Ortovski (http://www.davidorlowski.com/article-normal-ou-anormal-124921265.html ), « l’anormal n'est pas le pathologique ». Le premier se définit relativement dans le rapport à une norme, le second réfère à l'existence d'une souffrance liée à un état ( physique ou psychologique. Mais on peut aller plus loin encore dans la critique de l'association de l'écho anxiété au pathologique. Je suivrais là Véronique Lapaigne (médecin-chercheur et enseignante en santé publique, santé mentale et santé environnementale, pour l'Université Laval ) qui explique également régulièrement que l’éco- anxiété (qu’elle a problématisée) ne relève pas « du registre de la santé mentale » ou « du pathologique » et que « ça n'a rien d'une maladie » ( https://www.youtube.com/watch?v=AXkcHbct3m4 ). Et aussi Alice Desbiolles encore une fois les pour qui « l’éco-anxiété est plutôt une réponse adaptative normal face à une prise de conscience des enjeux environnementaux » (« Partager et agir au quotidien pour dépasser l’éco-anxiété » Essentiel Santé Magazine - Numéro du 18 oct 2021 ).

C’est là une toute autre approche du phénomène qui ne vient pas mettre en cause une certaine fragilité psychologique des personnes qui viendrait les mettre à la marge. Selon Alice Desbiolles « les personnes éco anxieuses son in-fine les personnes rationnelles et lucides dans un monde qui ne l'est pas » (« l’éco-anxiété . Vivre sereinement dans un monde abîmée »)

C'est aussi ce que l'on peut déduire de la multiplication des enquêtes et sondages qui s'intéressent de plus en plus à ces inquiétudes- interrogations climatiques et risques d'effondrement civilisationnel. Se font-elles l'écho ou contribue-t-elle à insuffler cette conscience de l'effondrement ? Parmi ces enquêtes, l’une des dernières met en lumière que jamais les jeunes n'ont été aussi anxieux (enquête internationale parue dans The Lancet planetary health auprès de 10000 adolescents-jeunes âgés de 16 à 25 ans ) avec ce score « moyen de 75 % d'entre eux affirmant leur peur de l'avenir dont 59 % jugeant « être » ou « extrêmement inquiet » du changement climatique ; 45 % reconnaissant que ce sujet affecte leur vie quotidienne, sommeil, alimentation, travail et divertissement. Et plus de la moitié ( 56 % ) pensant que « l'humanité est condamné », 39 % hésitant à avoir des enfants.


De tels chiffres peuvent apparaître étonnants à plus d'un titre. Tout d'abord, ils disent une certaine « normalité » de l'inquiétude climatique. Dès lors que la grande majorité des personnes sont dans cette inquiétude (et non pas une simple petite partie marginale), cela fixe la norme. (Enquête Ifop 2019 - https://www.huffingtonpost.fr/entry/colere-deprime-et-empathie-comment-leco-anxiete-nous-transforme-sondage-exclusif_fr_5daf06a4e4b0f34e3a7ca856 ) Une autre remarque peut être faite, même si l’éco-anxiété n'est pas une maladie « anormale» dont il faudrait (pouvoir ) guérir, la situation n’en apparaît pas moins problématique car source de souffrances psychologiques. Autre point souvent aussi relevé , la « conscience » du problème climatique ne paraît pas provoquer de modifications des modes de vie à la mesure du problème. Le déni semble donc moins dans les mots que dans les actes. Ceci pouvant d'ailleurs être source d'une sorte de dissonance cognitive du fait de ce hiatus entre ce que l’on dit (et pense ? ) et ce que l'on fait. Dissonance elle-même source de cette souffrance psychologique. (Voir livre de Alice Desbiolle page 49-50 )

Ceci se manifeste souvent alors par l'expression d'un « sentiment de désespoir, d'impuissance et de culpabilité » comme le note Antoine Pelissolo chef chef du service psychiatrique de l'hôpital Mondor à Créteil, impuissance qui conduit au « burn-out du colibri ». https://www.francetvinfo.fr/sante/psycho-bien-etre/l-eco-anxiete-le-mal-des-patients-qui-sangoissent-du-dereglement-climatique-a-un-moment-donne-il-n-y-aura-pas-de-retour-en-arriere_4831449.html Il y a alors aussi le risque de développement d'un stress d'adaptation ( voir Alice Desbiolles - pages 53 à 55 )

La question qui se pose alors est celle de comment faire pour « s'en sortir », dépasser son stress et son angoisse éco- anxieuse ? Le traitement est-il médical, psychiatrique ? Que conseillent les psychiatres qui sont consultés ? La situation est variable, et dépend bien sûr de l'intensité des symptômes, de l'état de « dégradation » psychologique et physiologique généré par l'état de stress. L’éco-anxiété qui n'est pas une maladie en elle-même comme on l'a vu, peut dégénérer en état d'anxiété maladive si aucune réponse n'est trouvée. Le plus souvent les « psy » expliquent « que l'on peut calmer ces inquiétudes avec une bonne hygiène de vie, un meilleur sommeil, une meilleure alimentation, la relaxation et de l’exercice physique, puis aussi en s’immergeant, en se promenant dans la nature » (voir émission récente de France Info sur l’éco- anxiété https://www.francetvinfo.fr/sante/psycho-bien-etre/l-eco-anxiete-le-mal-des-patients-qui-sangoissent-du-dereglement-climatique-a-un-moment-donne-il-n-y-aura-pas-de-retour-en-arriere_4831449.html ).

Reste que les troubles du sommeil ou obsessionnels générés par l’éco- anxiété peuvent nécessiter un accompagnement, car il ne suffit pas de dire « manger mieux », « promenez-vous »... Pour que cela se réalise. Encore faut-il y être entraîné. Cela peut être le rôle de l'accompagnement comme le propose le réseau des « éco-psychopotes » qui se structure aujourd’hui en France , particulièrement sensibilisés, engagés dans ces problématiques à l’instar de Charline Schmerber (https://videos.lescommuns.org/w/kEyZ9TrPWP3xffvbvptrpu).


Il semble bien au final que l'engagement dans l'action l'engagement dans l'action soit la meilleure voie de « traitement ». Ne plus être observateur mais œuvrer au sein d'une association comme l’Adaptation Radicale qui se donne comme mission de « construire un futur désirable et pérenne » (https://adaptationradicale.org/yeswiki/?RaisonDEtre ) . Ainsi la reliance avec un groupe de reconnaissance mutuelle permet-elle de dépasser le stade de la dissonance cognitive . Cette mise en action revêt aussi une toute autre signification que l'espoir du changement, que l'illusion d'agir pour sauver la planète ; elle est une expérimentation , la lente mise au point d'une nouvelle trame pour l'existence humaine et sociale sur cette planète qui permet une autre vie dès maintenant. Il s’agit en quelque sorte de bifurquer quoi qu'il advienne, dans la joie de vivre au présent, le groupe d'action fonctionne et agit comme un groupe de soutien et d'engagement, et peut jouer au quotidien, dans la normalité, le rôle d’une thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT).

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