Voilà deux bonnes questions que l'on ne manque sans doute pas de se poser dès que l’on aborde les rives de la méditation. Les bonnes réponses ne manquent pas pour qui s’adonne à la lecture des innombrables ouvrages et guides cherchant accompagner les adeptes dans la pratique. De « aller mieux » à « aller bien » en passant par « être ou rester zen » , les bonnes raisons sont souvent exprimées ainsi avec force d’évidence ; et la méditation est souvent étroitement associée à cette idée-objectif envie de bien-être comme je le rappelle souvent dans les articles de ce blog… Souvent aussi je fais référence à Fabrice Midal pour mettre en garde contre cette focalisation des attentes cherchant dans la méditation un moyen efficace pour lutter contre le stress généré par nos « vies modernes ». Je voudrais revenir là sur ces critiques socio-psychologiques qui fleurissent aussi ces dernières années à l'encontre de cet engouement populaire pour la pratique de la méditation qui correspondrait pour résumer cette ligne de pensée à «une forme de récupération et d'exploitation par le capitalisme néolibéral » .
Cet été du 30 juillet au 4 août, le journal Le Monde a consacré une semaine de chroniques quotidiennes à la méditation, participant ainsi d’ une certaine manière à ce mouvement d'engouement pour cette pratique. Notons cependant que ces articles ne sont pas une simple promotion, ils formulent pour certains une lecture critique. Le premier article de Fabrice Midal est - pour qui connaît ce philosophe fondateur de l'Ecole Occidentale de Méditation- sans surprise. Il reprend son injonction fameuse, titre d'un de ses livres « Foutez-vous la paix ! » et affirme que « plus on dit aux gens soyez zen et plus on tend à les rendre malheureux » - (voir aussi dans ce blog : https://enviedebienetre.wixsite.com/enviedebienetre/blog/l%C3%A2che-prise-sois-zen). Il craint ainsi qu’ « aujourd'hui la méditation devienne dans de nombreux cas un outil d'aliénation ».
Dans un autre article deux sociologues Noah Berger et Myrtille Picaut invitent les lecteurs à méditer sur « Vertu de la méditation ou tyrannie du bien-être ». Elles inscrivent leur analyse dans la ligne de la sociologie critique de Eva Illouz, s'interrogeant sur « la marchandisation des émotions en régime capitaliste ». Pour elles, la popularité de la méditation peut s’analyser dans le contexte de la mise en place d'une d'un véritable « marché émotionnel » remettant la promotion de cette pratique par les entreprises « libérées » auprès de leurs employés en perspective avec la recherche d’un renforcement des capacités de concentration utile à une meilleure efficacité productive, centrale pour le développement de la société néolibérale, appelant aussi chaque individu au développement de son autonomie personnelle.
D'un point de vue sociologique la méditation est ainsi dénoncée comme une tentative de « psychologisation des rapports sociaux », visant à faire porter la responsabilité du mal-être et du stress vécus liés au travail en régime capitaliste à l'individu lui-même ou du moins à sa faiblesse psychologique.
Déjà un livre paru en 2008 « Les managers de l'âme » de Valérie Brunel faisait la critique sociologique de l'essor des techniques du développement personnel dans le monde de l'entreprise, l’analysant comme « une nouvelle pratique du pouvoir » managerial (https://journals.openedition.org/lectures/794). Un autre livre paru cette année de Yves Cusset se veut encore plus féroce sous couvert d'humour satirique à l'encontre des coach en développement personnel, en proposant « l’ultimate guide » afin que chacun puisse « Réussir sa vie du premier coup » ( https://www.philomag.com/les-livres/lessai-du-mois/reussir-sa-vie-du-premier-coup-38672 )…
On le voit à mesure que la pratique de la méditation se développe, convertit davantage d'adeptes, se démocratise, se popularise les critiques se lèvent pour la dénoncer comme « miroir aux alouettes », comme « illusion » détournant les uns et les autres des combats politiques.
Que peut-on penser de telles critiques ? En tant que sociologue du travail moi-même, ayant lentement dérivé vers la psychologie positive et la philosophie antique et avoir été un temps formateur en « gestion » du stress et des émotions dans sein d'une grande entreprise publique, il me semble que si elles peuvent d'une certaine manière être justifiées ces analyses ne sauraient cependant être totalement justes du fait d’une certaine radicalité qui fait la part belle à un certain machiavélisme du « Système » qui manipulerait les individus comme s’ils étaient incapables de développer leur conscience.
Dans un des articles-chroniques du Monde Antonio Pelé, professeur de Droit et des libertés publiques à l'Université pontificale de Rio de Janeiro affirme que « l'attrait pour la médiation est une réponse aux exigences du capitalisme » (Le Monde 3 juillet 2019). Ce qu’il est intéressant de noter c'est que Antonio Pelé est lui-même un adepte de la méditation et il précise bien que le but de son travail n'est pas de critiquer la méditation mais il remarque « qu’elle peut aussi conduire à accepter le monde tel qu'il est, à s'adapter à cette accélération et aux inégalités qui se creusent sans vouloir les remettre en cause […] le danger de certaines pratiques méditatives c'est de dépolitiser les individus, en faisant passer l’éthique de soi avant la politique ».
Ainsi donc on peut très bien prônez la pratique de la méditation et en percevoir certains usages néolibéraux susceptibles d’en corrompre ou du moins d'en limiter le sens et la portée spirituelle.
Cependant faut-il comme le fait Antonio Pelé opposer éthique (« le souci de soi ») et politique (le souci de la Cité) ? faut-il le suivre lorsqu'il interprète - de manière peut-être anachronique - les travaux de Michel Foucault sur « le souci de soi » (Voir aussi dans ce blog : https://enviedebienetre.wixsite.com/enviedebienetre/blog/connais-toi-toi-m%C3%AAme-ou-le-souci-de-soi) tel qu’il pouvait s'exprimer dans les écoles philosophiques de la Rome antique ? Tous les exercices spirituels des stoïciens qui visaient à établir une conduite éthique, se conjuguaient de manière harmonieuse avec le souci de remplir son rôle et ses devoirs dans la Cité , et même avec une conscience d'être « citoyen du monde » [https://biospraktikos.hypotheses.org/1466]
On peut même penser que la pratique de la méditation, même initiée et découverte au détour de la dynamique promotionnelle dont elle bénéficie dans notre monde moderne, que ce soit pour juguler le stress, pour être plus performant ou pour développer son bien-être personnel, peut être l'occasion aussi d'en découvrir les dimensions plus profondément spirituelles par lesquelles un repositionnement de l’Etre peut s'opérer. Ainsi une pratique qui pourrait n’avoir été au démarrage qu'une sorte de repli ou le refuge de l'individu sur lui-même, une sorte d'échappatoire au mal-être dans le monde et une fuite du mal-être du monde lui-même, peut devenir l'opportunité pour un développement de la Conscience, de l’Etre au monde différemment. Comme le dit aussi Christophe André répondant aux questions de Nicolas Demorand et Léa Salamé reprenant les critiques citées de Eva Illouz, la méditation est "un détour vers soi-même" au bénéfice des autres et du monde, car elle permet d'établir en soi un centre de stabilité pour changer son rapport au monde et de ce fait même le monde. Voir à partir de la minute 7'53" :
On peut écouter aussi l'une de ses dernières chroniques du "Temps de méditer" de l'été 2019 sur France Inter sur le rapport entre "méditation et liens" : https://www.franceinter.fr/emissions/le-temps-de-mediter/le-temps-de-mediter-17-aout-2019
La voie méditative permet de retrouver l'intuition des stoïciens de faire Un avec l'âme du monde et de réanimer « l'Unus Mundus » des néoplatonicien aussi. Alors se changer soi, ne s'oppose pas à une volonté de changer le monde. Cela peut en être au contraire le chemin comme le montre dans un autre livre - dont il faudrait aussi parler- Mohamed Taleb « Arpenter le chemin de l'éco-psychologie. Humanisme cosmique et philosophie de l'âme du monde » :
« Arpenter les sentiers de l'âme du monde c'est nécessairement sortir des grandes avenues du capital et de sa pseudo civilisation » (page 40)
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