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"Je vis donc je mute"

Le titre résonne un peu à la manière de « je pense donc je suis », le fameux « cogito » cartésien qui fonde la philosophie moderne. Ce faisant, il est intéressant de noter alors ce bond dans l'évolution de la pensée, que cela représente aussi. Un bond aussi dans cette pensée-compréhension de « ce qui nous arrive », la pandémie, le COVID, dont notre vie est ainsi « affectée » depuis plus d'un an maintenant. Un an ! cela semble long dans ces « circonstances » et en même temps court à l'échelle de notre vie, et de la succession des générations. Il y a dans cet événement, assurément une perturbation du temps, et peut-être encore plus fondamentalement de notre identité en tant qu' entité (vivante ) ?




Au cours de cette dernière année, ce blog s’est enrichi de l'expérience que nous vivons avec la pandémie. D'abord il y a eu la question de la peur, puis du besoin d'en sortir, que « cela change », que la vie, une nouvelle vie se fasse jour avec et dans « un autre monde ».

Beaucoup de méditations écrites, partagées pour accompagner ce chemin, cette traversée.

Aujourd'hui, 1 an plus tard, nous sommes encore comme encore comme englués dans la pandémie et cette ritournelle des médias qui nous laisse penser que c'est la seule seul actualité… égrenant jour après jour les avancées et les reculades dans cette « guerre au virus », vague de confinement après vague de confinement, selon une géographie à géométrie variable, avec cet écoulement aussi chaotique et laborieux des doses de vaccination.


Et pourtant, pour peu qu’on soit à l’écoute d’autre chose, une nouvelle tonalité du discours, de l'analyse, se fait jour, perce un peu, pour nous permettre de mieux penser, plus que seulement "panser" la situation. Une ancienne ritournelle aussi peut-être, mais elle prend des accents plus pointus, qui nous touchent de plus près, qui nous aident à prendre du recul : cette idée que le virus et nous, composons, avec une infinité d'autres entités, les structures mouvantes du vivant.

C’est un article du dernier numéro de Philo magazine, celui de printemps 2021, auquel j'emprunte ici son titre, qui me fournit l'occasion de partager cette ouverture. Elle est aussi un rappel des enseignements de la Tradition sur l’Inter-Etre et l’ illusion de l’égo. La fin de l'article se tourne vers l'un des philosophes contemporains dont la pensée est parmi les plus avancée sur le sujet Emanuele Coccia ( que l'on peut écouter ici : https://www.youtube.com/watch?v=RZm-a0RuG_I) ; en écho de son dernier ouvrage « Métamorphoses » paru en 2020. Ce qu'il avance ne constitue sans doute pas une découverte pour ceux qui parcourent déjà les chemins de la philosophie bouddhiste, cela lui confère surtout une résonance ancrée dans la philosophie de la biologie.

« Il montre dans cet article, que si le principe de la vie est une transformation de l'état de la matière, ‘ on a du mal à l'accepter, parce qu'il confère un caractère éphémère à tout ce qui est. Tout individu est une métamorphose. La vie n'est jamais possédée par un seul être ou une seule espèce. Notre corps participe de la chair de Gaïa, de la terre conçue comme un organisme vivant. »

D'autres philosophes de la biologie - Cécilia Bognon-Küss et Thomas Heams, attirent également notre attention sur la manière dont nos interactions biologiques et sociales avec « le virus » interrogent fondamentalement notre identité au cœur du visible et de l'invisible. Voici quelques extraits pour secouer nos certitudes, nos repères, nous ressituer dans cette longue chaîne du vivant, une ouverture à une longue méditation aussi sur notre être au monde.


« il n'y a pas de vie sans défi lancé à l’identité. Le vivant est un mouvement permanent, sans être pour autant un magma informe . On peut tenir pour objectif que des catégories d'ordre biologique existent, comme les cellules ainsi que les organismes, parfois les espèces. Mais gardons à l'esprit qu'elles sont dynamiques et nourries par du changement, dont la mutation génétique est l'une des manifestations éclatantes. Ce qui désarçonne c'est que les phénomènes disjoints que sont, pour les humains, le changement au cours d'une vie et l'évolution multigénérationnelle , nous apparaissent chez ce virus comme fusionnés sur un temps très court, de quelques heures à quelques mois » […] « Les virus ce sont aussi des agents de transfert génétique : le message est difficile à entendre, mais près de la moitié de notre génome, cette identité génétique qui nous passionne tant, serait vraisemblablement constitué d'anciens virus devenus inoffensifs. Enfin, les virus ont suscité chez les êtres vivants des méthodes de défenses immunitaires innovantes. A eux seuls ils témoignent que le vivant est relationnel et changeant. » Thomas Heam
« Avec l'irruption du virus sur le devant de la scène, c'est la notion de vivant qui mute. Elle est moins fondée sur l'individualité que sur la collectivité, sur la permanence que sur le changement, sur la stabilité que sur la création » Cécilia Bognon Küss

Voilà que nous comprenons qu'à chaque instant notre vie est nourrie ainsi des échanges qui nous constituent de matière-énergie avec tout ce qui nous entoure. Une autre manière de comprendre, de déployer cette expression qui de plus en plus résonne en moi « l'extérieur et à l'intérieur ».


Ainsi chaque respiration est un flux continu de gaz, de molécules entre l'extérieur de « moi » et l'intérieur de « moi » , et le « moi » n'existe que dans ce va-et-vient, dans ce mouvement de l'air, des molécules qui alimente notre biochimie la plus intime.

Cela fait écho à d'autres travaux de la biologie contemporaine qui plongent au cœur des interactions troublantes entre nos humeurs, nos pensées-émotions, et les échanges biochimiques « commandées » par notre microbiote. Le « je pense, je suis » de Descartes trouve là une acception difficile. « Je suis (être et suivre) mon microbiote... Ce que je mange » ; à résumer par « je pense ce que je mange » ?

Une formulation qui doit aussi être interrogée à la lumière des enseignements bouddhistes : « qui est ce JE qui pense » ? Par quel mystère, l'esprit-conscience s'anime-t-il.elle dans ce flux incessant des échanges à tous niveaux entre les différentes espèces de « nos » cellules, agencées-combinées dans le temps long de l'évolution des espèces, au terme de lents mouvements sélectifs aux frontières du vivant et du non-vivant, de sorte que « cela pense » ?

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