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Je panse donc je suis...

Peut-être à la lecture du titre, a-t-on ce réflexe de lire une belle fôte d'orthographe ou d'inattention. Non le « a» ici est bien attentionnel . Il indique l'objet même de cet article : une lecture croisé de 2 articles sur les cas je suis tombé le même jour…

Du coup une bien vieille question s'est mise à résonner : Qui suis-je ? Mon cerveau ou mon ventre, ma panse ? ou suis-je quelque part « perdu » (? ) dans ces connexions neurologiques entre les deux « Tan Tien » , à la recherche d'un chemin de conscience émergent de ces deux inconscients qui me déterminent, pour accéder à la liberté-libération d’un être-au-monde fait d’interdépendances ?




Et toujours on y revient alors avec cette question : à la fameuse réponse de Descartes « je suis une chose qui pense » ; avec cette difficulté mise en son cœur de savoir comment cette association du corps et de l'esprit s'articulait précisément ? Plusieurs fois, on l'a mentionné dans ce blog, les neuroscientifiques de la fin du 20e siècle ont cherché à « simplifier » le problème en ramenant toutes choses au corps ; l'esprit n'étant en quelque sorte qu'une manifestation du cerveau et comme une partie du corps, la plus éminente d'ailleurs selon eux . Même si dans cette affirmation, le « problème difficile de la conscience » [ https://www.ted.com/talks/david_chalmers_how_do_you_explain_consciousness/transcript?language=fr ] est loin d'être résolu, les progrès croissants de l'imagerie médicale fonctionnelle permettant de visualiser le cerveau en activité et de cartographier de plus en plus facilement les compétences motrices mais aussi mentales, les a incité à penser que la question de la conscience « évoluée» (de l'esprit) trouverait un jour sa solution matérialiste .

C'est le projet du « code de la conscience » porté par le neuroscientifique psychologue Stanislas Dehaene.


« Telle est l'hypothèse extraordinaire qui nous est proposée aujourd'hui avec les neurosciences . Chacune de nos perceptions, chacun de ses états de conscience est un état d'activité de notre cerveau. Et nous pouvons commencer à les décoder avec les méthodes des neurosciences »

affirmation centrale de sa prestation de pense à Tedx Marseille


Dans cette performance verbale du TEDx, Stanislas Dehaene cherche à réhabiliter le philosophe Descartes, bien que son nom soit toujours associé au dualisme de l'esprit et de la matière , à l'encontre d'un de ses collègues Antonio Damasio auteur d'un livre « L'erreur de Descartes » ( https://www.mentaliste.paris/lerreur-de-descartes-la-raison-des-emotions/ ) en le tirant de son côté en affirmant qu’il était « un pionnier des explications matérialistes des état psychologiques du cerveau » ; bien qu'il avouait en son temps être incapable d’expliquer les comportements humains ( divers, complexes et flexibles) par le mouvement d’ une machine. Restait alors le mystère de l'esprit-conscience ; d’où le recours au dualisme… que Stanislas Dehaene réduit à l’unique activité du cerveau mise en lumière par l'imagerie cérébrale. Tout se serait débloqué selon lui au milieu du 20e siècle avec Turing et « l'arrivée dans l'informatique qui a permis de comprendre d'une machine peut produire de la parole et peut agir avec flexibilité » , supposant au passage que « nos smartphones aurait fait rêver Descartes, lui montrant que l'intelligence n'est plus inaccessible aux machines ». Toutes ces affirmations ne peuvent se comprendre et s'entendre qu'à cette condition d'avoir une vue « réduite » de la conscience et de l'intelligence , et le constat sans doute outré de Stanislas Dehaene que « nous sommes maintenant dominés du point de vue de l’intelligence par ces machines » , constat peu respectueux de la diversité, de la complexité des facettes de l'intelligence humaine - irréductible à la seule logique algorithmique. Ainsi dans sa « démonstration » peut-on repérer les nombreux raccourcis qui lui permettent de passer de la question « une machine pourrait-elle être ( devenir) consciente ? » à l'affirmation « qu’il n’est pas difficile aujourd'hui d'analyser les états subjectifs du cerveau » - ce qui n'est pas du tout la même chose. Dans ce raccourci de ce qu'il présente comme « l'histoire de la conscience » , Stanislas Dehaene « constatant » que nos états les plus intimes sont le résultat des calculs (inconscients) de notre cerveau conclut que par ces mots « Je suis mon cerveau . il faut accepter cette idée là .» Il y voit là, « une opportunité extraordinaire de se comprendre soi-même, d'analyser les origines de nos comportement », une manière pour lui de remplir le programme de la philosophie grecque énoncé par Socrate « connais-toi toi-même » ; en faisant le pari que si Platon revenait aujourd'hui il se précipiterait vers les neurosciences. Ainsi la fameuse le fameux précepte du fronton du temple de Delphes est-il ici retraduit par Stanislas Dehaene en « connais-toi ton propre cerveau ». . Platon aurait-il abandonné alors la philosophie ? Rien de moins sûr lorsqu'on connaît la prééminence de l'esprit, du monde des idées sur le corps chez Platon …

C'est cette thèse que Stanislas Dehaene défend et met en images dans son dernier livre « Face à face avec le cerveau » (Voir l’article de Le point « nous sommes notre cerveau » : https://www.lepoint.fr/sciences-nature/stanislas-dehaene-nous-sommes-notre-cerveau-26-09-2021-2444730_1924.php)

Voilà donc que du côté des neurosciences, nous sommes réduits à notre cerveau, une interprétation hyper matérialiste du « cogito ergo sum » de Descartes. Au même moment où ce premier article relatif au dernier livre de Stanislas Dehaene me faisait ainsi réagir de manière critique, un deuxième article m'interpellait cette fois du côté du ventre, avec cette accroche « la dépression, les troubles bipolaires et la schizophrénie partagent des similitudes au niveau des bactéries intestinales » (https://trustmyscience.com/depression-troubles-bipolaires-schizophrenie-partagent-similitudes-bacteries-intestinales/) . Cette « terra incognita » de l'inconscient psychologique abordée du 20e siècle par Freud « le Christophe Colomb de l'inconscient cognitif » ( Cf le livre de Lionel Naccache « Le nouvel inconscient : Freud, le Christophe Colomb des neurosciences » ) et ces dernières années comme réapproprié par la nouvelle armada des navigateurs de l'imagerie cérébrale à la fin du 20e siècle, se voit aujourd'hui en ce début du 20e siècle assujettie cette fois par les spécialistes du microbiote, avec cette nouvelle question ancienne mais remise au goût du jour de la microbiologie « sommes-nous ce que nous mangeons ? ». Un ancien numéro de Philo magazine (https://www.philomag.com/dossiers/je-suis-ce-que-je-mange ) prompt à se saisir des matériaux de la science pour philosopher, ouvrait ce dossier avec ce titre « je suis ce que je mange » emprunté tout à la fois à l'épicurien Brillat-Savarin et au philosophe matérialiste Ludwig Feuerbach qui affirmait dans ses « manifestes philosophiques » ( 1839 1845 ) « l'homme est ce qu'il mange ».

Tout se passe comme si l’on passait ici d’une théorie de « l'inconscient cognitif » à une théorie de « l'inconscient digestif » . Ici le « ventre » , souvent appelé le « deuxième cerveau » - car il contient de nombreux neurones autonomes assurant la régulation de l'appareil digestif ( vestiges de notre toujours actif de notre développement épigénétique) apparaît alors avoir une influence déterminante (et inconsciente) sur notre premier cerveau, jusqu'à être responsable de nombreux troubles pathologiques qualifiés de « psychiatriques » ( et donc attribués primitivement à la "psyché").

« ces découvertes d'étranges connexions entre l'intestin et le cerveau ont permis d'établir des liens entre la dépression et certaines espèces de bactéries intestinales »

Peut-être sommes-nous ainsi ramenés à la métaphysique cartésienne de l'animal-machine prétendant que le comportement des animaux (et de l'homme comme animal ?) est semblable aux mécanismes des machines, à ceci près que dans notre science moderne la machinerie serait là biochimique, avec comme l'une de ses molécules clés la sérotonine ( 95 % de la sérotonine est produite au niveau de l'intestin - la sérotonine étant un neurotransmetteur aussi appelée hormone de la sérénité ). Nos états mentaux ne seraient donc pas directement produits par le cerveau mais auraient ainsi leur origine et leurs couleurs dans la biochimie du microbiote, via une interaction permanente entre nos deux cerveaux. Ainsi toute une série de recherche suggèrent que « le microbiote joue un rôle sur nos comportements et notre réactivité émotionnelle » . Donc la science détaille de plus en plus la manière dont notre corps affecte nos états mentaux ou d’âme, notre « esprit ».


Tous ces courants de recherche souvent mis en avant de manière sensationnelle par les médias (scientifiques), semblent emporter de manière un peu désespérante ce qui serait l'illusion de notre subjectivité, voir de notre liberté au sens de libre arbitre. Pourtant, il est possible d'être attentif à d'autres voix (voies) de la science, qui sans être dissonantes ou contradictoires ouvrent d'autres perspectives où le sujet n'est pas annihilé, mais apparaît dans la singularité de ses émergences interprétatives. Ainsi tous les scientifiques ne développent pas nécessairement l'approche réductionniste de Stanislas Dehaene. Lionel Naccache par exemple poursuit de livres en livres son approfondissement de la question du rapport de l’objectivité à la subjectivité. Ainsi dans son livre « Le chant du signe », il s'attaque à réenchanter le « signe » et son décodage le plus souvent automatique par le cerveau qui nous laisse alors souvent penser que le signe nous impose son sens, sans que nous y soyons aucunement actif . S'interrogeant sur les « erreurs » de sens occasionnées lors de la « collision » d'un sujet avec les signes à certains moments, il y trouve la manifestation d'une sorte de liberté du sujet dans la contingence, toujours un peu mystérieuse, de laquelle le sujet émerge ainsi de son interprétation, et à partir de laquelle il peut prendre prise sur le monde et son destin.



Un autre auteur, philosophe intéressé aussi par la problématique des neurosciences Markus Gabriel prend le contre-pied de Stanislas Dehaene en affirmant « Non je ne suis pas mon cerveau », jugeant la perspective « neuro-centriste » anti-humaniste. Markus Gabriel doute radicalement qu'elle puisse « nous livrer des informations sur notre moi ». Sa philosophie « compatibiliste » (classique) vise à remettre au goût du jour l'affirmation d'une non-contradiction entre la liberté et le déterminisme à la manière de Spinoza. La part d’automate cognitif en nous ne nous empêche pas pour lui d’éprouver notre libre arbitre . En dépit de ces détermination qu'il ne s'agit pas de nier, il reste difficile de ne pas penser à l'encontre de leur implacabilité que ni l'inconscient collectif, ni l'inconscient digestif ne réduisent notre dimension spirituelle.

Il existe un chemin étroit, tortueux, difficile d'émergence de la conscience, de la Libération. Rappelons encore que Spinoza termine ainsi son livre maître « L’éthique » :

« La voie que j'ai montrée pour atteindre jusque-là [la liberté] paraîtra pénible sans doute, mais il suffit qu'il ne soit pas impossible de la trouver. Et certes, j'avoue qu'un but si rarement atteint doit être bien difficile à poursuivre ; car autrement, comment se pourrait-il faire, si le salut était si près de nous, s'il pouvait être atteint sans un grand labeur, qu'il fût ainsi négligé de tout le monde ? Mais tout ce qui est beau est aussi difficile que rare. »
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