On connait la chanson ancienne déjà de Jacques Dutronc "700 millions de chinois, et moi, et moi" ; voilà un bon point de départ pour interroger cette inquiétude du "moi" qui caractérise notre époque post-moderne depuis l'entrée dans la modernité avec le Cogito cartésien. Le souci de soi, la question du sens de s'aimer soi-même qu'on a déjà commencé à explorer dans des articles précédents, peut alors être prolongée avec les réflexions et les enseignements que nous suggèrent un petit livre incisif sur la question de Françoise Bonardel "Prendre soin de soi. Enjeux et critiques d'une nouvelle religion du bien-être". Une manière aussi de préciser toujours un peu plus (dans la lignée de Françoise Bonardel) à quel "bien-être" notre association et ce blog font référence. Une introduction aussi à la question du rapport qui peut être fait entre le "Soi" dont on parle aussi souvent beaucoup et le "moi".
Pour démêler la question du "moi" et du "soi", il faut replonger dans l'histoire de la philosophie (pas la philo du bac, mais la philo au sens antique de souci et d'effort pour développer des pratiques de bien vivre). Un petit aperçu sur le verso du petit livre "Prendre soin de soi" peut nous éclairer rapidement :
Le livre est traversé ainsi par cette interrogation : comment faire pour que "Prendre soin de soi" ne confine pas à un "repli sur soi" ? Comment faire pour que le souci de la connaissance de soi posée dans son objectif comme une ouverture vers l'inconnu en soi ne dérive pas vers une fermeture dans l'affirmation de la possibilité d'une identification d'un "véritable soi authentique" ?
La question du "Moi" est on le sait polémique, sujet à controverse. L'interrogation que nous posions dans le prolongement des réflexions de Fabrice Midal sur Narcisse - "S'aimer est-il un bien ?" - abordait déjà ce point sensible : faut-il chercher à fortifier son "moi" comme les promoteurs du "développement personnel" y incitent (avec la mise en évidence des bénéfices pour soi-même de la confiance en soi et de l'affirmation de soi) ? ou bien faut-il traquer l'égo pour chercher à l'anéantir ? Voilà un dilemme qui peut nous plonger dans un souci du moi...
Cependant cette perspective de dissolution de l'égo, du moi posée comme une voie nécessaire de la réalisation de soi, est d'emblée mise à mal à l'aube de la modernité qui s'ouvre avec cette question caricaturale de la philosophie; aposée à Descartes : "qui suis-je ?"... qui réponds "Je pense donc je suis". David Hume un autre philosophe (du XVIII ème siècle) qui contestera les méditations cartésiennes comme nous le raconte Monsieur Phi dans l'une de ses vidéos décalées sur Youtube :
https://www.youtube.com/watch?v=XeZDt43Pij8
David Hume reprend et détaille, la mise en abîme du "Moi" déjà réalisée par Pascal dans l'un de ses fragments ("Qu'est-ce que le moi ? - http://chemins-de-philosophie.over-blog.com/2014/09/le-moi-realite-ou-illusion-1-2.html et https://www.youtube.com/watch?v=1x9ACCSQUso) en réponse à Descartes, en montrant que "le moi" est insaisissable. Ces réflexions issues d'un approfondissement par introspection de la nature véritable de l'Ego, mettent en évidence ce qui nous apparaît bien lorsqu'on médite : la fluctuation incessante et changeante des perceptions, des pensées et des émotions.
Cette expérience de la nature profonde de l'esprit qui est au coeur aussi de la doctrine de la vacuité dans le bouddhisme. De ce point de vue "le moi est une illusion de la réalité conventionnelle et relative". Dans la philosophie bouddhiste le moi est un composé d'agrégats (la forme corporelle, la sensation, la perception, la formation mentale et la conscience - https://fr.wikipedia.org/wiki/Skandha ) et il n'existe rien qui soit comme une âme (Atman en sanskrit) conçue comme une unité substantielle immatérielle. Il semblerait que Hume ait eu connaissance de cette doctrine de la vacuité via des missionnaires jésuites ayant séjourné en orient (Siam Tibet) lors de son écriture de son "Traité de la nature humaine" à la Flèche.
"Se connaitre soi-même" reviendrait alors à connaitre la véritable nature de son corps et de son esprit ouvrant alors bien plutôt sur un travail de "dé-connaissance" de son moi quotidien, que sur une connaissance psychologique certaine de sa personnalité . "Prendre soin de soi", reviendrait alors à apprendre à dialoguer avec la part d'ombre qui est en nous, comme le montrait Carl Gustav Jung (https://nospensees.fr/larchetype-de-lombre-le-cote-obscur-de-notre-psyche/). Dans ses chroniques sur Narcisse que j'ai déjà évoquées dans "S'aimer soi-même est-il un bien ?" Fabrice Midal, revient aussi sur cette étrangeté du moi, "être soi c'est déconcertant" répéte-t-il. Il montre que le narcissisme, c'est ce mouvement de rencontre avec soi, qui ne confond pas avec une adhérence et une croyance en un moi véritable qui pourrait nous devenir transparent, que c'est aussi savoir se perdre au regard des certitudes de l'être que l'on est. https://www.franceculture.fr/emissions/narcisse-accuse-non-coupable/narcisse-pour-celebrer-la-beaute-et-retrouver-la-culture
Pour conclure, comme le montre Françoise Bonardel pour en revenir à son livre "Prendre soin de soi", si "s'asseoir et méditer" peut ouvrir sur "un sentiment de se sentir bien" (qu'il ne s'agit pas de rejeter), ne pas percevoir durant cette assise le jeu avec l'ombre en soi, peut constituer "un piège se refermant sur le méditant" celui d'un simple "attachement au bien-être" qui peut devenir une nouvelle source de souffrance. Car "Prendre soin de soi" par la voie de la méditation en particulier est vraisemblablement le moyen habile proposé ici pour passer le gué du "bien-être" vers la félicité.
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