Les enseignements de la méditation de pleine conscience (mindfulness) opposent l’ « Etre » au « Faire ». Il ne s'agit pas alors de condamner le « faire » au nom de « l’Etre » comme si l'accomplissement par la méditation serait de renoncer à l'action pour atteindre l'être, mais de mettre en évidence combien il peut nous être difficile - bien souvent - de sortir un tant soit peu du mode du « faire » pour tâcher de nous tenir dans « l'être » . Et quiconque a commencé à emprunter ce chemin de la méditation peut attester de cette difficulté qui peut prendre alors plusieurs formes dites empêchement : l'ennui, la somnolence, voir l'agacement… Cependant si elle semble au premier abord claire cette opposition mérite d'être interrogée plus avant : peut-on sortir du « faire » ? et où cela peut-il nous mener ? dans l'être ? au-delà l’être ? y a-t-il un au-delà de l’être ?
Voilà, juste s'asseoir et observer sa respiration , sans chercher à la modifier ; se tenir droit, digne sans être raide, immobile ; sans rien chercher ; sans rien attendre ; sans rien faire … Ce sont là - bien ramassées en une seule phrase - les instructions de base de la méditation - simple et difficile en même temps, comme on l'a déjà souligné (Cf l'article : "Il n'y a rien à faire" : https://enviedebienetre.wixsite.com/enviedebienetre/post/il-n-y-a-rien-%C3%A0-faire )
Bien sûr se tenir - ou tâcher de se tenir - assis ainsi immobile peut apparaître au débutant une épreuve qui pourra l'amener à à ressentir des inconforts liés à la posture physique (et mentale) plus ou moins rapidement. Et il pourra penser que c'est là le seul chemin pour quitter le mode du « faire » dans lequel nous sommes quasi en permanence, pour chercher plutôt à « être ». Et pour cela l'instructeur qui guide ainsi sur le chemin par ses instructions bienveillantes, par des indications douces, ponctuées de « quand vous le voulez… », « si vous le voulez… » marque bien qu'il n'y a là aucune obligation « à faire ». Et pourtant... dès que suivant les instructions je décide de m'engager sur ce chemin balisé, de tenir la posture au plus près de ce qui m’est ainsi préconisé, ne suis-je pas déjà en train « de faire » ? D'abord vouloir tenir la posture, se conformer... le faire comme porte de l'être ? Assis immobile, dans une forme d'inaction au regard des mouvements qui m'animent le plus souvent en dehors du sommeil, est-ce que je cesse de faire quelque chose ? qu'est-ce que « faire » ? quel rapport avec le mouvement, avec l'intention, avec la pensée, la conscience ?
J'écoute donc les instructions ; et je décide de fermer les yeux et de porter l'attention à ma respiration ! Voilà j'ai fermé les yeux d'un petit mouvement bref. Mais n'ais-je rien fait là ? je maintiens les yeux fermés : ne fais-je rien, encore ? j'oublie - ou du moins je cesse de penser à fermer-maintenir fermés les yeux ; cela sort de ma conscience qui oriente alors son mon attention vers la respiration à l'écoute attentive de l’instructeur. Pas d'autres mouvements là que celui d'une ré-orientation de la conscience : n’est-ce rien faire ?
A l’écoute attentive de la guidance, j'observe « sans rien faire » (d'autre) le mouvement de ma respiration. Ce mouvement s'accomplit automatiquement sans que je n'ai rien à commander, à faire. L'inspiration , l'expiration…
Ne rien changer, ne rien modifier !
Et pourtant, il est probable que ma respiration se modifie sous le simple effet de l'observation ; qu’elle ralentisse, que son mouvement s'amplifie un petit peu, imperceptiblement - ce n'est pas volontaire - mais puis-je dire que je n'ais rien fait dans cette incidence de l'observation ? tout ce que je fais est-il habituellement conscient et volontaire ? non sans doute ! Il faut un petit effort/concentration (la focalisation) pour maintenir l'attention sur le mouvement de la respiration automatique. Si je ne le fais pas ce petit effort, l'attention s'échappe, distraite, captée, voire capturée par les pensées. Si c'est le cas je ramène doucement avec bienveillance l'attention à la respiration qui est toujours là, qui revient alors dans l'espace de la conscience. Ce mouvement de va-et-vient entre la respiration et les pensées (qu'il me faut juste laisser passer) n’est-ce pas le mouvement même de la méditation , un espace-temps subtil de la pratique entre le faire et l'être ? Un ensemble routinier de petites choses à faire mine de rien, sans rien faire d'autre … Et n'oublions pas que la méditation est avant tout une "pratique" (la "praxis" des Grecs qu'ils opposaient justement à la "theoria" - la contemplation...qu'on associe souvent à l'état méditatif...on perçoit bien là les ambiguïtés ou les subtilités...)...
Et puis l'instructeur - silencieux un temps - me laissant à ce mouvement lent, patient d'ancrage dans l'être - doucement propose d'élargir l’attention aux sons extérieurs e/ ou de mon corps. Alors mine de rien ma conscience déplace doucement mon attention de la respiration vers les sons, me faisant tendre mes oreilles, mes perceptions corporelles. N’ais-je rien fait ? même si ce mouvement de la conscience n’est sans doute guère perceptible que pour moi-même. Il s'agit juste d'amener à la conscience ces bruits presque inaudibles qui, sans un mouvement volontaire de l’attention, ne l’attirerait pas, étant sous le seuil de la perception ordinaire. En focalisant ainsi mon attention pour me rendre plus présent à toutes les expériences de mon être, je ne fais pas rien. Alors en quoi, pourquoi, puis-je dire, puis-je penser que je ne fais rien ? Sans doute parce que ces mouvements commandés de la conscience attentionnelle se distinguent-t-ils des mouvements ordinaires orchestrés habituellement par le souci d'obtenir un résultat, d'avoir un effet tangible dans le temps et l'espace, de satisfaire un besoin, une envie, une nécessité, de répondre ou correspondre à une intention précise, ciblée, censée remplir un but, de produire quelque chose en dehors de moi…
Alors que se passe-t-il dans l'expérience méditative du Mindfull yoga ? Là, des mouvements du corps dérivés simplement des pratiques du yoga, du Qi Gong, du Taï-chi viennent servir de support à une orientation de la conscience attentionnelles sur notre être en mouvement. Voilà alors encore avec plus d'évidence comment « le faire » et « l’Être » peuvent entretenir des liens étroits. Me voilà à faire des mouvements qui par leur simplicité même peuvent entrer dans une sorte de d'automaticité, similaire à celle de la respiration, de telle sorte que ma conscience ne soit plus tellement nécessaire à leur exécution, permettant qu'elle se focalise alors sur les sensations corporelles liées au mouvement. Faisant ainsi les mouvements comme automatiquement, je peux délaisser tout objectif de performance, de production, le souci de réussir, de faire…
Toute la volonté de performance, du bien faire se dissolvent alors dans l'observance - entendue ici comme à la fois observer - suivre les instructions- et observer -contempler tous les phénomènes associés comme réalisation des mouvements du corps et de la pensée.
Ainsi un certain mode de faire permet-il d'atteindre la rive de l’être - ce moment où présent à soi-même le souci de faire est totalement absorbé dans la conscience phénoménologique des sensations corporelles, des mouvements pleinement réalisés – exécuté et conscientisés - des pensées et émotions dérivées.
Il est toujours possible aussi de revenir à la respiration qui accompagne le mouvement « sans rien changer » selon la formule consacrée dans le Mindfulness.
Cependant la respiration est modifiée par le mouvement, s'harmonise avec lui. D'ailleurs, là encore le jeu est subtil entre yoga et Mindfulness. Dans le hatha-yoga la respiration doit être maîtrisée et l'une des étapes pour aborder la discipline est bien d'ailleurs l'attention à la respiration, non pas alors telle qu'elle est mais telle qu'elle doit être dans l'accompagnement des extensions, des torsions, des relâchements, entre l'inspire et l'expire, dans le juste temps du mouvement. Tout est là.
Alors une des variantes du Mindfull yoga ne peut-elle être juste l'attention pleine au mouvement cadencé de la respiration, du gonflement du ventre à l'inspire qui se prolonge par l'extension de la cage thoracique et les mouvements associés dans ce déploiement lent de l'inspiration ; puis ce temps d'arrêt, de rétention de l'air une ou deux secondes ; puis le relâchement de la poitrine à l'expiration lente toujours de l'air qui sort et du ventre qui s'aplatit et se creuse ; du point d'arrêt et d'inflexion du mouvement de la respiration. Rapidement le mouvement s'acquiert et se réalise, automatique, permettant à la conscience attentionnelle toujours de se focaliser sur les sensations du mouvement de la respiration telle qu’elle est ainsi dans la réalisation cadencée et ses variations. Là encore le faire conduit à l'être dans la conscience.
Si donc le chemin de la pleine conscience débute naturellement par l'attention à la respiration telle qu'elle est sans rien vouloir changer, l'observation du changement qui échappe à la volonté par le simple fait de l'orientation de la conscience indique un chemin possible d'approfondissement de la pleine conscience de l’être, où le jeu avec la respiration que l'on peut alors inscrire dans une perspective de Mindfull yoga peut alors servir de support au lien subtil entre « le faire » et « l’être ».
Ainsi peut-on aussi comprendre la possibilité d'être dans le faire, de donner toute son attention au quotidien dans ces actions que l'on conduit et qui nous conduisent sur le chemin de l'existence de tous les jours, jour après jour, instant après instant.
Un jeu entre l’agir et le non-agir.
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