Qui ne connait pas l'oracle de Delphes ? qui en connait le véritable sens ? Un oracle en forme d'énigme du Sphinx qui fait gloser les philosophes depuis Socrate. Où peut-on en puiser le sens ? peut-on en épuiser les sens ? Est-il possible de se connaître ? qui ou qu'y a-t-il à connaître ?
Les questions s'accumulent en abîme et il ne saurait ici être question d'y apporter une réponse sûr et affirmative, complète. Avouons comme Socrate notre ignorance pour simplement chercher à approfondir la question et nous donner un peu de recul et de distance pour méditer la question.
Au point de départ de l'interprétation théologique de l'oracle de Delphes, il y a chez les grecs le rappel que l'homme doit connaitre sa place dans la nature, c'est à dire sa finitude, le fait qu'il soit mortel (à la différence des Dieux - la formule complète de l'oracle étant "Connais-toi toi même, tu connaîtras l'univers et les dieux."
Le philosophe Socrate sera le premier à donner un sens psycho-philosophique à l'expression en enjoignant aux hommes de faire le travail de s'occuper d'eux-mêmes et de trouver leur propre fondement pour atteindre le bien.
"Se connaître soi-même" indique donc depuis l'origine que notre intériorité ne serait pas transparente, et qu'il y aurait un travail à faire dans l'épaisseur de nous-même, pour arriver à cette connaissance. La psychologie des profondeurs reprendra cette idée avec la mise en évidence de l'inconscient, cet autre en nous. Socrate disait bien déjà l'ampleur du travail à réaliser car sa seule connaissance proclamait-il était qu'il savait qu'il ne savait rien. Ainsi la connaissance de soi-même semble s'ancrer dans une profonde ignorance de l'homme quant à lui-même, mais apparaît en même temps au centre même de l'oeuvre de la connaissance. La première chose à laquelle l'homme doit s'attacher est de se connaitre lui-même, il s'agit là de se tourner vers soi, pour prendre soin de soi, cultiver ce que Michel Foucault appellera "le souci de soi" dans son étude du "sujet", qui est aussi un "gouvernement de soi" et "une construction de soi". Cette priorité est l'oeuvre première de la philosophie (et ensuite de la psychologie) au sens aussi où certains rappellent que "science sans conscience n'est que ruine de l'âme".
Mais comment faire pour se connaitre ? La réponse souvent apportée est de se tourner à l'intérieur de soi-même (l'introspection) pour discerner ce qui nous anime, ce qui justifie ou explique notre comportement, nos réactions. La psychologie nous a ainsi appris que notre personnalité est le produit de notre histoire personnelle, et qu'il est possible d'établir un type psychologique (une combinaison de "qualités", de "défauts", de "potentiel" selon différents plans ou axes)... Mais une telle connaissance psychologique de soi, ne saurait pas être le but de la connaissance de soi au sens philosophique et spirituel. Car il s'agit là bien plutôt, de trouver une voie d'évolution de transformation de soi. La connaissance de soi est alors une sorte de mesure d'écart entre là où je suis et là où je désire aller. Cet écart peut alors se comprendre comme une tension entre l'univers de mes émotions-passions qui me déterminent dans ma manière d'être et l'univers de "ma" raison d'être.
Le problème était déjà posé dans ces termes là par les philosophes stoiciens héritiers de Socrate. Ils proposaient déjà en leur temps toute une panoplie d'exercices spirituels qui visaient pour l'homme à se parfaire par la réalisation en soi de la vertu, en s'attachant à suivre la partie directrice (raisonnable) de l'âme en soi (qui n'est pas strictement "mon" âme), bien plutôt que de s'abandonner à ses passions. Tout cela sera repris, ensuite par Plotin et à partir de là dans les principes fondamentaux du christianisme via Saint Augustin. "Connais-toi toi même, tu connaîtra l'univers et les dieux" se comprend alors (avec des définitions diverses de la divinité) comme une invitation spirituelle à chercher en soi l'étincelle du divin, à la fois comme une partie de nous (immanence) et comme une réalité qui nous dépasse (transcendance). Spinoza un autre philosophe du XVII ème siècle fera aussi de la connaissance de soi, le principe clé de la joie qui constitue pour chacun une augmentation de sa propre puissance d'agir et qui donne accès à la vie heureuse. Pour lui, l'essence de l'homme est le désir et il ne peut vaincre ses passions tristes que par l'exercice d'un désir plus grand orienté vers la joie. Pour y parvenir il convient cependant de dépasser la connaissance sensible qui est selon lui (comme pour les philosophes de l'antiquité) trompeuse et dépasser aussi la connaissance rationnelle (mentale logique); pour atteindre la connaissance intuitive. Cette dernière qui est le résultat d'un cheminement intellectuel et spirituel nous permet de comprendre au plus profond de nous que nous sommes partie prenante de ce qu'il appelle "dieu la nature" (deus sive natura) https://www.scienceshumaines.com/les-trois-formes-de-connaissance-selon-spinoza_fr_28812.html et https://vivrespinoza.com/2012/06/14/connais-toi-toi-meme/. Ainsi on comprend que la connaissance de soi est à la fois un savoir et un désir, qui ouvre sur un équilibre entre volonté et humilité par lequel nous trouvons notre juste place dans le cosmos.
Sans doute, l'injonction moderne du "connais-toi toi même" qui s'exprime dans les expressions, comme "savoir s'affirmer", "avoir confiance en soi", doit-elle à tout cet héritage culturel et cette transmission psycho-philosophique. Il faut alors pour bien les comprendre considérer qu'il ne s'agit pas simplement d'oeuvrer à son simple "développement personnel" (qui pourrait avoir l'effet pervers de trop nourrir l'égo) mais de s'ouvrir aux autres en soi via notre nature divine au sens de Spinoza. Il s'agit aussi alors de reconnaître le caractère pluriel de notre identité personnelle dans son rapport aux autres qui nous constituent.
Comme le montre le sage "Krishnamurti" la méditation est l'un des exercices qui permet d'ouvrir sur ce troisième type de connaissance intuitive de soi, par la conscience du corps et par la claire conscience de la nature de l'esprit, par la compréhension de l'illusion de l'égo, par la distinction de ce qui ne dépend pas de nous (ce qui nous arrive) de ce qui dépend de nous (la manière de faire face à ce qui nous arrive).
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