Le mot résonne d'abord peut-être du succès du film « Avatar » de James Cameron sur cette planète des biens et des maux : « pandora ». Mais « avatars » c'est aussi le nom pour ces petites icônes que les fans de jeux vidéo empruntent pour se donner une vie, de nouvelles identité et vies pleines d'aventures virtuelles. Mais à l'origine c'est « avatâra » - les apparences-identités nombreuses que le dieu Vishnu manifeste comme expressions multiples de son infini jusque dans son incarnation en Krishna pour les hommes . Mais quel rapport entre ces différentes figures de « avatar » ? Entre le virtuel et l’incarnation ? Comme réalisation d'un autre soi, de l'alter ego en soi ? Natalie Depraz, phénoménologue peut nous guider sur ce chemin pour y comprendre « une expérience philosophique » du rapport corps et esprit, d'une « conscience en mutation ».
Il est ainsi des livres qui de livre en livre, vous conduisent sur ce point du chemin où vous pouvez vous reconnaître. Se reconnaître, ici revêt alors un sens multiple ; tout à la fois trouver une confirmation d'être bien sur le chemin que vous pensez, acquérir en quelque sorte une idée claire et distincte, une forme de certitude intuitive, ressentie dans l'esprit et le corps que ce que vous lisez exprime bien ce que vous parvenez à penser au fond de vous-même ; et se reconnaître au sens d'avancer d'un pas assuré sur ce chemin de la connaissance de Soi. Ainsi le livre de Nathalie Depraz, « Avatar » est comme une résonance à plus d'un titre ; d'abord parce que c'est un son objet même, l'expérience de l'alter ego comme connaissance de soi, « expérience philosophique » pour reprendre son sous-titre, mais aussi « expérience spirituelle » ; et puis aussi parce que ce qu'elle dit et analyse du film correspond effectivement à cette expérience ressentie personnellement en ayant vu aussi le film plusieurs fois. Je ne vais pas tout raconter le film bien sûr (il est à voir et revoir…), mais il faut situer le contexte, préciser le point de départ. Tout commence avec l'arrivée de l’ex-marine, Jake Sully sur la planète des Omaticaya - Pandora, la boîte de Pandore. Cette dernière évoque parfois une sorte de corne d'abondance ; et la planète attire les humains comme toujours pour ses ressources rares, sources de gigantesques profits pour ceux qui sauront les capter, les exploiter. Mais Pandora c'est d'abord dans la mythologie grecque :
La première femme, créée par Héphaïstos, sur ordre de Zeus. Athéna, déesse de la sagesse, la dota de toutes les grâces et de tous les talents ; Zeus lui fit don d'une boîte où tous les maux étaient enfermés, il l’envoya sur terre à Épiméthée, le premier homme, qu'il la pris pour épouse. Épiméthée ouvrit la boîte fatale et donna ainsi l'essor à tous les maux, il ne resta au fond que l'espérance.
Une forme ancienne du mythe juif d'Adam et Ève...
Ce qui reste au fond de la boîte - l'Espérance - représente une ouverture « à tous les possibles de l'existence », une expression sur laquelle il faudra aussi revenir un jour pour en mesurer toute la portée, à la lumière de la finitude de la vie humaine. Mais revenons à notre histoire. Vulcain-Héphaïstos qui façonne Pandore (« tous les dons ») , l'appela ainsi « parce que chacun des habitants de l'Olympe lui avait fait un présent pour la rendre funeste aux hommes industrieux «. ( Hésiode « Les travaux et les jours ») et Épiméthée en ouvrant la boîte fit se répandre parmi les hommes, la vieillesse, la maladie, la guerre, la famine, la misère, la folie, le vice, la passion et l'orgueil. ( Pour en savoir plus sur ce mythe voir Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Pandore ).
Dans le film « Avatar », Pandora c'est aussi la nature sauvage (« wildness »), opposée à la figure de la culture humaine moderne destructrice. Pandora est aussi une figure métaphorique de Eve, comme déesse mère de tous les hommes, qui se manifeste aussi sur cette planète édenique par « Eywa », l'arbre mère, l'arbre monde, qui est aussi l'arbre de toutes les âmes, la communauté du Vivant, l'enchâssement de toutes les âmes individuelles dans l'âme du monde. C'est dans ce contexte mythologique de Pandora que Avatar peut être vu et lu comme le récit d'une métamorphose du corps et de l’Etre, de « l'altération de soi » , expression complexe qui contient le sens profond, phénoménologique du film. Mais là encore pour comprendre le destin de Jake et de Neteyri , fille du chef du peuple Omaticaya et de son épouse grande prêtresse guérisseuse, un petit détour par l'étymologie de « avatar » est nécessaire. Le chemin est ainsi toujours plein de ces détours du sens. Comme le rappelle Natalie Depraz « le terme avatar, du sanskrit avatâra désigne dans la religion Indoue chacune des incarnations du dieu Vishnu et, plus avant, sa descente divine sur terre avec sa 8eme incarnation, Krishna, le dieu le plus humain pour rétablir le Dharma. Cela confère aux termes, au sens figuré, la signification de la métamorphose d'un objet ou d'un individu qui en a déjà subi plusieurs » (Avatar , page 61).
Vishnu est le dieu de la stabilité du monde, il entretient la vie et la création. C'est le dieu du temps. C'est un protecteur des humains et un sauveur. Il ne peut intervenir directement dans les événements. Il doit s'incarner dans un avatar.
Jake arrive ainsi donc sur Pandora. Hémiplégique suite à un accident, il doit remplacer Tom, son frère jumeau, scientifique décédé pour remplir une mission de contact avec les Omaticaya, via un Avatar, corps hybride (ADN mi-humain et mi Omaticaya). Dans un premier temps sa gémélité doit lui permettre de se mettre dans l'esprit de son frère Tom afin de pouvoir activer l'avatar à distance par son esprit. Puis il lui faut apprendre à contrôler ce nouveau corps Omaticaya et son environnement de la nature luxuriante de Pandora. Pour cela il va être aidé par Neteyri, qui dans un premier temps s’apprête à le tuer car il apparaît dans son avatar comme un faux Omaticaya, un « marchand de rêves » comme les Omaticaya des appellent, car ce corps se désactive comme un pantin dès lors que l'esprit de Jake revient dans son véritable corps originel humain. Jake va donc être initié par Neteyri à la demande de sa mère, et son destin va être de devenir « l’élu » (« Toruk Malto ») pour le peuple Omaticaya en chevauchant le grand dragon, le grand prédateur de Pandora. La métamorphose finale étant celle qui lui permet de transmigrer son âme et esprit humain définitivement dans le corps de l'avatar Omaticaya, grâce à l'aide de « Eywa » l'Arbre Monde de Pandora, et de passer d’être humain à Omaticaya. Voici donc au premier degré, une belle histoire, un peu féerique ou de science-fiction agrémentée d'une belle histoire d'amour entre Jake et Neteyri. Mais quel est le sens profond de cette histoire de métamorphose ; et de ce qui pourrait apparaître que comme une fable écologique ?
Natalie Depraz nous montre que cette métamorphose, et réincarnation de Jake d'homme en Omaticaya, cette renaissance est aussi parallèlement une « mutation de la conscience ». Là est toute la portée du plaidoyer, du projet de cette œuvre éco-sophique de James Cameron, l'auteur du film. C'est ainsi une véritable réalisation .
Ainsi la métamorphose de Jake, de l'être soi de l'avatar est-elle le processus même de la réalisation de Soi comme conscience élargie, unifiée, réunion de l'âme individuelle et de l’âme du monde Eywa.. Ce récit de James Cameron s'alimente aux récits traditionnels spirituels, que cela soit celui du « corps de gloire » de la Transfiguration du Christ sur le mont Thabor, ou du « corps arc-en-ciel » du Bardo de la mort tel que décrit dans le Livre des Morts tibétains. C'est là tout à la fois une illumination et un éveil ou l'unification du soi passe par « l'altération du soi ».
Notre culture cartésienne rationaliste du « cogito ergo sum », nous conforte dans l'idée que notre ego serait d'emblée cohérent, unifié. Mais l'expérience ordinaire nous révèle souvent qu'il n'en n'est rien. Lorsque nous pensons, une petite voix ou des petites voix sont à l’oeuvre, nous révèlant souvent ainsi les tensions, voire les dissensions intérieures qui nous tiraillent d'un côté et de l'autre, et qui expliquent que « nous savons le bien et nous faisons le mal » (Saint-Paul).
Cette réalité composée, fracturée du moi ordinaire peut même revêtir des formes pathologiques avec les dissociations de la personnalité (schizophrénie, personnalités multiples ... La voie de la sagesse qui est celle qui est cette « mutation de la conscience » peut alors se comprendre comme celle de l'unification de ces multiples voix intérieures en un tout cohérent et pacifié, correspondant aussi dans la tradition néoplatonicienne à la conversion plotinienne du « multiple » vers « l’UN ».
Il s'agit donc là de reconnaître au point de départ que notre ego est fracturé, qu’il comporte une altérité intérieure sous-jacente, conflictuelle, une sorte de « alter-ego intime » en soi, qu'il convient d'accepter afin de l'unifier. C'est ce que la tradition et les rituels du Chöd bien aussi (voir article du blog « Que faire de nos émotions ? » : https://enviedebienetre.wixsite.com/enviedebienetre/post/mais-que-faire-de-nos-%C3%A9motions).
« L'altération de soi », c'est paradoxalement ce travail de reconnaissance et d’acceptation de l'autre en soi pour la réalisation-unification de soi. Ce que disait aussi le philosophe phénoménologue Paul Ricoeur dans son ouvrage « Soi-même comme un autre » (https://www.franceculture.fr/philosophie/paul-ricoeur-soi-meme-comme-un-autre)
Ainsi Jake pour se réaliser dans sa métamorphose Homme /Omaticaya doit-il opérer « tout un travail profond sur son identité, sur la confusion où il se trouve, par laquelle il se cherche, où il s’accueille pour découvrir en lui l'altérité qui le traverse. Au fond il devient lui-même vraiment en devenant radicalement autre ». ( Natalie depraz, Avatar, page 110).
Ainsi avatar de James Cameron n'est pas une simple fable écologique agrémentée d'une histoire d'amour un peu romantique ; mais doit être vu comme un récit initiatique et éco-sophique du chemin d'ouverture à soi comme autre en devenir, tendu dans le temps biographique. Il nous faudra revenir sur ce processus d'ouverture…
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