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Photo du rédacteurThierry Raffin

"Ainsi soit-il" - tathata


L'expression résonne comme une prière. On la trouve sous cette forme ou sa forme hébraïque "Amen" à la fin de nombre de prières dans les religions monothéïstes. Elle pourrait bien même en être à y regarder de près l'essence même de la prière. Et en même temps elle est devenue d'une certaine manière dans notre culture moderne occidentale au fil du déclin de la religion, comme une expression dérangeante, suspecte, créant une sorte de malaise ... alors que pourrait bien faire cette expression dans une perspective de bien-être ? En replongeant dans les origines des pensées à visée spirituelle et en décortiquant le sens profond et exact que revêt "ainsi soit-il" on peut peut-être mieux comprendre en quoi cette disposition de l'esprit pour nous servir encore aujourd'hui dans notre quête et notre chemin de Bien-Etre.

"Ainsité" - Peinture de Anne Bonningue - https://www.artmajeur.com/fr/annebonningue/artworks/9963220/ainsite

Rituellement, l'achèvement d'une prière par "Ainsi soit-il" marque l'acceptation, l'accord avec ce qui vient d'être dit. Il y a là ce que l'on interprète alors comme une sorte de soumission à la volonté de Dieu ou plus largement de celui à qui l'on fait cette prière, comme le manifeste bien le "Que ta volonté soit faite" dans le Notre Père emblématique des prières chrétiennes.

Pourquoi peut-il apparaître difficile de prononcer de telles paroles, si elles sont prononcées avec un degré minimum de conscience, et non pas machinalement comme dans une récitation apprise par coeur et dont on perd le sens des mots ? Peut-être parce que dans ces prières, il est question d'acceptation sans discussion. Et pourquoi nous est-il si difficile d'accepter ce qui semble s'imposer à nous de la sorte ? Notre culture moderne qui sanctifie l'épanouissement et la liberté individuels nous conforte dans l'idée que notre volonté propre est première, et voudrait nous faire croire à sa toute puissance. Du coup lorsque le sort s'en mêle et que la fortune nous parait se retourner contre nous, nous voici conduit à batailler contre ce qui arrive, à vouloir rejeter ce qui nous n'aimons pas, à vouloir poursuivre au contraire ce qui nous attire. Ainsi le mouvement de balance du "j'aime/j'aime pas" finit par constituer le tempo de nos impulsions psychologiques, comme le battement d'un coeur gaie ou triste. Ainsi peut démarrer le cercle vicieux des ruminations qui peut ouvrir et entretenir le cycle de la dépression, comme une béance en nous même dans laquelle on perd pied.


Alors que faire ? ... Etre avec ce qui est !


Voilà une expression bien mystérieuse ! comment la comprendre ? Pour cela faisons un petit détour par l'un des trésors de la pensée spirituelle occidentale : "Les pensées pour moi-même" de Marc Aurèle l'empereur romain stoïcien. On y lit déjà cette critique des prières qui s'égrènent parfois en chapelets de demandes aux dieux de satisfaire nos souhaits :


"Ou les Dieux sont impuissants, ou ils peuvent quelque chose. S’ils sont sans puissance, pourquoi leur adresser tes prières ? S’ils peuvent quelque chose pour toi, pourquoi ne les pries-tu pas de te donner la force de ne plus craindre rien de tout ce que tu crains, de ne désirer rien de ce que tu désires, de ne t’affliger de rien de ce qui t’afflige, plutôt que de leur demander qu’ils t’accordent cette chose que tu souhaites, ou qu’ils éloignent telle ou telle autre chose de toi ? Car si les Dieux peuvent aider les hommes en agissant avec eux, c’est en cela certainement qu’ils le peuvent. Mais peut-être diras-tu : « Ce sont là des choses dont les Dieux m’ont laissé maître. » Eh bien alors, ne vaut-il pas cent fois mieux te les procurer toi-même, et te servir avec pleine liberté de choses qui ne dépendent que de toi seul, plutôt que de t’agiter avec la bassesse d’un esclave pour des choses qui ne dépendent pas de toi ? Mais qui t’assure que les Dieux ne prennent point une part dans les actions mêmes qui dépendent de nous ? Essaie donc un peu de les prier comme je te le recommande, et tu verras."


Son sens profond n'apparaît pas immédiatement à la conscience tant notre résistance à cela est forte. Il nous semble qu'en faisant ainsi nous sombrons dans la résignation, dans le fatalisme et qu'il y a là une simple démission de soi décourageante pour la pensée et pour la dignité. Cette étrangeté s'éclaire un peu plus loin dans les pensées :


"Tout ce qui t’arrive dans la vie, arrive de telle sorte que la nature te l’a rendu supportable, ou que tu es hors d’état de le supporter avec la nature que tu as. Si l’accident est tel que tu sois de force à l’endurer, ne t’en plains pas ; mais subis-le avec les forces que t’a données la nature. Si l’épreuve dépasse tes forces naturelles, ne te plains pas davantage ; car, en te détruisant, l’épreuve s’épuisera elle-même. Toutefois, n’oublie jamais que la nature t’a fait capable de supporter tout ce qu’il dépend de ta volonté seule de rendre supportable, ou intolérable, selon que tu juges que c’est ton intérêt de faire la chose, ou qu’elle est un devoir pour toi."


Et pour rendre encore plus lisible cette forme de pensée, nous pouvons encore en revenir à l'un des maîtres stoïciens de Marc Aurèle, qui quant à lui a été esclave - Epictète. Le manuel d'Epictète donne les clés de la compréhension de cette forme de pensée - juste là les 3 premiers paragraphe pour donne envie de découvrir, de relire, de goûter cette force spirituelle qui est en nous :


I. Parmi les choses, les unes dépendent de nous les autres n’en dépendent pas. Celles qui dépendent de nous, c’est l’opinion, le vouloir, le désir, l’aversion : en un mot tout ce qui est notre œuvre. Celles qui ne dépendent pas de nous, c’est le corps, les biens, la réputation, les dignités : en un mot tout ce qui n’est pas notre œuvre.


II. Et les choses qui dépendent de nous sont par nature libres ; nul ne peut les empêcher, rien ne peut les entraver ; mais celles qui ne dépendent pas de nous sont impuissantes, esclaves, sujettes à empêchement, étrangères à nous.


III. Souviens-toi donc que, si tu crois libres ces choses qui de leur nature sont esclaves, et propres à toi celles qui sont étrangères, tu seras entravé, affligé, troublé, tu accuseras dieux et hommes[4]. Mais si tu crois tien cela seul qui est tien, et étranger ce qui en effet t’est étranger, nul ne te forcera jamais à faire une chose, nul ne t’en empêchera ; tu ne te plaindras de personne, tu n’accuseras personne ; tu ne feras pas involontairement une seule action ; personne ne te nuira, et d’ennemi, tu n’en auras point, car tu ne pourras pas même souffrir rien de nuisible.


Pour la suite ... : https://philosophie.cegeptr.qc.ca/wp-content/documents/Le-Manuel-d%C3%89pict%C3%A8te.pdf


Si nous replongeons ainsi dans nos racines spirituelles occidentales nous pouvons donc trouver les mêmes lueurs que celles qui nous proviennent des pays du soleil levant. Il y a là une singulière résonance avec ce que le bouddhisme appelle l' "Ainsité" ( "tathata" ) qui nous plonge encore plus profondément dans la nature non conditionnée de toute chose. Nous pouvons en effet observer que notre esprit ne cesse d'attribuer aux choses une valeur, une importance, un intérêt, des propriétés qui font qu'elles sont désirables ou au contraire détestables (le "j'aime/j'aime pas"); mais avant de posséder (Avoir) ces propriétés qu'on leur attribue, les choses sont (Etre).


Or pour voir les choses telles qu'elles sont sans ce désir de les posséder ou de les changer, juste pour nous épurer de la couche mentale qui alimente le jeu des ruminations, des envies et des répulsions, il existe une voie. La pratique de la méditation de pleine conscience en nous permettant juste d'être là présent, juste présent avec ce qui est là, ici et maintenant peut nous libérer de la pression stressante du vouloir trouver des solutions mentales à des nos problèmes, une voie d'extinction des émotions corrosives, des risques de dépression. Car nous comprenons alors que nos problèmes que nous croyons être des faits solides dotés d'une quasi réalité, sont colorées par le jeu de nos pensées-émotions qui se surajoutent à l'ainsité de la situation. Voir par exemple ce beau texte de Thich Nhat Hanh "Comment transformer nos peurs" https://www.meditationfrance.com/archive/2009/1103.htm


Lorsqu'on s'inscrit dans cette voie de l'accord avec ce qui est, ouvre tout de même une question : tout ceci signifie-t-il de renoncer à agir pour que les choses soient transformées, afin que notre mal-être ouvre l'espace de notre bien-être? Question subtile et complexe qui méritera qu'on y revienne... mais en attendant voici un élément de réponse qui peut ouvrir une porte. Il s'agit d'une prière dite de la sérénité parfois attribuée à Marc-Aurèle (ce qui en dit bien la couleur profondément stoïcienne) :


"Mon Dieu, donnez-moi la sérénité d’accepter

les choses que je ne peux changer, le courage de changer

les choses que je peux, et la sagesse d’en connaître la différence"


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