Le Tan-Tien ! oui j'en ai entendu parler je vois c’est 3- 4 cm sous le nombril… Mais s'agit-il de « voir » comme l'on voit un objet matériel en considérant sa surface, sa texture, sa couleur ? Le tan-tien est d'une autre nature : à la fois présent et insaisissable d'une certaine manière mais aussi étrangement absent et pourtant saisissable d'une autre manière. Enigmatique tan-tien ! « Là-pas-là » qui représente le lieu énergétique et central de notre Être profond. Comment peut-on le trouver ? quel est le chemin ? la voie est dans l'exercice, la pratique qui fait passer d'un état de tension-résistance à un état de tension-vitale-fondamentale.
Pour trouver le chemin du tan-tien nous pouvons suivre Graf Dürckheim qui d'ailleurs parle plutôt du hara-tanden et inscrit sa pratique dans ce qu'il appelle « le chemin initiatique ». Chemin par lequel l’homme passe de « l’être existentiel » (le moi égotique) à « l’être essentiel » (le Soi au plus profond de soi). Pourquoi emprunter le chemin de celui qu'on appelle « le sage en costume de la Forêt Noire » ? Avant même Arnaud Desjardins (plus connu en France) il est l'un des premiers à transmettre en Occident au lendemain de la Seconde Guerre mondiale les enseignements de la méditation à partir de la tradition zen japonaise. Arnaud Desjardin enseignera lui dans la tradition indienne de l’Advaïta Vedanta. On peut avancer que ces deux sages occidentaux ont largement nourri par leurs enseignements, leurs écrits, dans leurs centres de pratique tout le mouvement d'intégration de la méditation dans une perspective le développement du bien-être avec une approche plus psychothérapeutique que religieuse, tout en restant profondément spirituelle. Ce mouvement prendra de l'ampleur dans une seconde phase avec le développement de la méditation de pleine conscience inspirée cette fois-ci des pratiques bouddhistes, via la mise au point du programme de réduction du stress par la méditation (MBSR) avec Jon Kabat-zinn. Ce que nous enseigne Graf Dürckheim c’est que le Hara-Tanden n’est pas « à chercher » car il est déjà là il est toujours là mais comme repoussé par l’être existentiel - le moi. Donc la question ce n'est pas tant « qu'y a-t-il à chercher ? » que « qui est à chercher ? » ou mieux « qui cherche ?»
Graf Dürckheim nous dit ainsi « qu'il faut nous laisser trouver parce que l'Être essentiel ne fait rien d'autre que de nous chercher » et il faut pour cela « se mettre à l'écoute de ce qui vous appelle et se laisser trouver ». On retrouve cette idée qui heurte souvent notre manière occidentale d'appréhender la vie ; à savoir qu'il n'y a en réalité rien à faire et qu'il s'agit surtout d'être. Cela passe par la juste perception-compréhension du corps. Graf Dürckheim est l'un des premiers avoir mis en exergue l'importance de faire la différence entre le corps qu’on « a » et le corps qu'on « est ».
L'exercice de la méditation ouvre justement à cette compréhension qui conduit à la juste perception du hara. Une grande part de l'importance de l'enseignement et de la pratique de la méditation par Graf Dürckheim tient dans le rapport qu’il permet d'établir entre méditation et respiration (ceci sera plus amplement détaillé dans un prochain article) qui passe par le ressenti du hara-danten.
« Dans l’exercice du chemin intérieur, il est déterminant de sentir le corps intérieur. Cela nécessite la formation, puis l’affinement d’un organe spécifique, l’organe de la perception intérieure… A cette fin, il est recommandé au début de fermer les yeux, de garder le silence et d’essayer de sentir intérieurement le corps que l’on « est » intérieurement, sous la peau... Il faut ensuite progresser lentement du haut vers le bas et du bas vers le haut, sentir toutes les tensions et se relâcher ; il convient en particulier de prêter attention à la respiration, de reconnaître son mouvement de va et vient…
Alors,… sans s’affaisser sur soi-même, on doit se laisser légèrement glisser dans l’expiration, qui devient alors automatiquement plus longue que l’inspiration. … l’on répète cet exercice jusqu’à ce que se produise le premier mouvement menant à l’attitude juste : le lâcher-prise ; on se relâche dans les épaules au début de l’expiration. On ne les pousse pas vers le bas...
… (ce mouvement de lâcher-prise) s’accompagne automatiquement d’un deuxième mouvement : l’assise ; on s’installe, on s’assied pour ainsi dire dans son bassin à la fin de l’expiration.
Ces deux premiers mouvements ne sont en fait que les deux parties d’un seul et même mouvement de haut en bas.
La technique du Hara comporte encore un troisième mouvement qui est, en fait, le plus important : « l’acceptation » juste du bas-ventre. Elle doit survenir à la fin de l’expiration… dans l’expiration pleine, le bas-ventre s’avance… C’est dans ce mouvement par lequel le bas-ventre ainsi que la région lombaire prennent de l’ampleur que le Hara trouve son expression corporelle propre. Celui qui s’exerce peu à peu l’impression de prendre la forme d’une poire ou d’une pyramide, ou bien il se sent comme soutenu par un socle large et solide ou encore ancré dans le sol par une puissante racine. »
Extrait de « Hara Centre Vital de l’homme » Graf Dürckheim
Pour terminer ce billet je ferais référence à un autre maître contemporain de la voie de l'énergie vitale : Vlady Stevanovitch. Dans son livre « la voie de l’énergie » il accorde une importance première au Tan Tien avant même de guider les exercices sur la respiration. Pour lui le Tan Tien est « le centre du corps [que l'on est] ». Il montre lui aussi qu'il ne s'agit pas tant de sentir son Tan Tien (ce qui n'est qu'une étape nécessaire mais simplement intermédiaire) que de s'identifier à lui, d'être conscient de soi dans son centre vital. C'est là pour lui le sens profond de l’expression « se centrer » - «se centrer c'est abandonner l'image de son corps extérieur c'est devenir un point à partir duquel se forme le corps intérieur ». C'est ce qui permet de retrouver « l'unité de l'être » au travers « d'une conscience d'être ».
Vlady Stevanovitch propose des exercices permettant d'identifier, puis de s'identifier dans le Tan Tien. En voici un, inspiré de son enseignement qui repose sur une visualisation des mouvements d'une bille dans le bas-ventre. On peut en faire une forme d'exercice méditatif, une sorte de Mindfulness yoga du Tan Tien.
0 - La première partie de l'exercice est une relaxation du corps complète permettant d'évacuer les tensions en posture allongée ou assise via l'observation de la respiration dans le ventre. Puis exercice va se composer d’une visualisation de la respiration en 8 temps à partir du ressenti du mouvement intérieur d’une bille d'acier de quelques centimètres de diamètre (un peu comme une boule chinoise de massage) au centre de son bas ventre sous le nombril.
1 - à l'inspiration faites monter la boule avec un peu d'inertie contre la paroi abdominale sentez là comme buter avec un peu de résistance
2- puis à l'expiration faite redescendre-revenir la boule à un point où vous pouvez ressentir une petite tension douce et chaude dans le ventre
3 - puis à l'inspiration ressentez la boule descendre à la verticale doucement vers les lombaires et sentez là encore son poids contre la colonne vertébrale
4- à l'expiration faites revenir la boule comme ramenée à son point d'origine par un élastique et la sensation de douce tension précédente
5 - à l'inspiration faites remonter la boule vers le creux de l'estomac un peu au-dessus du nombril toujours avec ce mouvement de lent étirement d'un élastique
6 - à l'expiration laissez revenir lentement la boule dans le tan tien qui s'identifie de plus en plus ainsi
7 - à l'inspiration faites à nouveau redescendre la boule qui vient buter contre le périnée et ressentez ce point de contact
8 - à l'expiration ramenez doucement la boule au tan tien qui commence à chauffer doucement
Reproduisez ce cycle de la respiration dans le tan tien en 8 temps plusieurs fois pour acquérir une certaine automaticité jusqu'à oublier l'effort pour guider la bille d’acier. Il s'agit de passer du « faire » à l’ « être ». Puis lorsque le mouvement est bien installé suivez juste le mouvement de la boule comme si vous étiez la boule elle-même et identifiez-vous à chaque passage au tan tien. Bien sûr il est difficile de réussir cet exercice du premier coup. Il faut en saisir l’esprit et le répéter plusieurs fois jusqu'à ce que le « faire » se dissolve dans l’ « Être ».
Pour aller un peu plus loin :
- sur Graf Dürckheim : https://www.revue3emillenaire.com/blog/le-chemin-est-le-but-entretien-avec-karlfried-graf-durckheim/ et https://www.franceculture.fr/emissions/les-racines-du-ciel/carl-graf-durckheim-avec-jacques-castermane
- sur Vlady Stevanovitch : http://www.artduchi.com/biographie-de-vlady.html
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