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Photo du rédacteurThierry Raffin

En finir avec la colère ? du ressentiment (2)

La colère ! J'y reviens... On le voit c'est une d'émotion qui nous taraude. L'article précédent - "Cà m'énerve - de ira" - explorait la question de savoir s'il fallait sainement la laisser exploser au nom du désir de vie ou bien l'éteindre au nom de la raison (démocratique et pacifique) et de la sagesse (philosophique). Clairement je prenais un parti (peut-être un peu radical) dans cette querelle ancienne de l'utilité de la colère ; celui des sages stoïciens, qui avec Sénèque, enseignent l'inanité de la colère. Mais une question restait en suspens ou en filigrane : quel peut bien être ce chemin subtil et tortueux par lequel on peut sortir de la caverne et contempler la lumière de la vie ? comment réussir à trouver et suivre cette lueur dans le noir ?


Sénèque dans son traité "de ira" (de la colère) nous enseigne que "c'est de la frontière qu'il faut repousser l'ennemi et que le mieux est de se mettre au-dessus des premières atteintes de la colère, de l'étouffer dans son germe" Etouffer la colère dans son germe... encore faut-il la voir germer... et la question reste de savoir si l'étouffer ce serait simplement s'interdire de l'exprimer. Car alors, le risque, souvent mis en avant est celui d'un refoulement de la colère, conscient ou inconscient, susceptible d'éclater à un moment ou un autre sous l'effet de la goutte qui fait déborder le vase au cours dans une réaction de défoulement; ou bien qui conduirait à générer un ressentiment plus ou moins enfoui, source de perversion des sentiments et de ses comportements. Ainsi comme le note Michel Etchaninoff dans son article de Philo magazine de février 2019 - "la grande Histoire des coups de sang" : "à l'orée du 20e siècle qui sera celui de la psychanalyse, de la théorie du refoulement, Nietzsche analyse dans "La généalogie de la morale" (1887) le mécanisme du ressentiment qui se transforme en mauvaise conscience". Et Michel Etchaninoff de conclure dans son article par une affirmation par rapport à la colère "l'important c'est qu'elle explose, rien n'est pire qu'un orage qui menace sans jamais éclater" Mais la maxime est-elle juste ? un orage qui n'éclate pas ne vaut-il pas mieux qu'un déluge meurtrier de grêle ? comment éviter l'orage sans pour autant être étouffé par une colère étouffée ?

Tournons-nous un moment vers Descartes et sa mécanique des passions qu'il expose dans son traité des "passions de l'âme". Car Descartes ne se réduit pas au "discours de la méthode" en se posant comme le précurseur philosophique de la raison scientifique. Même si ses méditations servent à mettre en scène le "doute hyperbolique" (le fameux doute cartésien) fondateur de la méthode scientifique, elles contiennent un fond métaphysique où l'âme a encore droit de cité. La description de la colère par nature violente pour lui est intéressante parce qu'elle augure de la compréhension psychologique des émotions dans une relation corps-esprit qui reste une gageure pour Descartes.

" C’est le désir joint à l’amour qu’on a pour soi-même qui fournit à la colère toute l’agitation du sang que le courage et la hardiesse peuvent causer ; et la haine fait que c’est principalement le sang bilieux qui vient de la rate et des petites veines du foie qui reçoit cette agitation et entre dans le cœur, où, à cause de son abondance et de la nature de la bile dont il est mêlé, il excite une chaleur plus âpre et plus ardente que n’est celle qui peut y être excitée par l’amour ou par la joie."

Alors que préconise Descartes pour éteindre le feu sous la chaudière de la colère et éviter que le cœur ne se charge de bile et en pression explosive ? Bien sûr il y a l'appel à la raison - ce qui n'étonne pas sous la plume de Descartes - mais plus encore il fait référence à la volonté, se situant là franchement dans la lignée des penseurs stoïciens.

"Si la colère fait lever la main pour frapper la volonté peut ordinairement la retenir"

Pour autant la volonté ne peut pas, tout tout le temps reconnaît Descartes qui distille alors une analyse psychologique subtile en distinguant deux espèces de colère :

"L’une qui est fort prompte et se manifeste fort à l’extérieur, mais néanmoins qui a peu d’effet et peut facilement être apaisée ; l’autre qui ne paraît pas tant à l’abord, mais qui ronge davantage le cœur et qui a des effets plus dangereux."

A partir de cette analyse Descartes dessine un chemin possible pour aller au-delà de l'apaisement par l'œuvre de la raison et de la volonté, pour transmuter la colère sourde souvent suscitée par un excès d'orgueil : c'est la voie de la générosité qui est pour lui "le meilleur remède qu'on puisse trouver contre ses excès". Il ouvre là un chemin qu'emprunte Spinoza admirateur critique de Descartes dans sa propre analyse dans "l'Ethique" du jeu des passions. Spinoza affirme qu'il est vain de vouloir éteindre les passions et qu'il convient bien plutôt de substituer aux passions tristes (comme la colère et la peur) des passions gaies qui augmentent notre puissance d'être et d'agir. Spinoza se sépare alors de la doctrine antique qui commandait souvent de combattre les passions-émotions, pensées comme un trouble de l'âme et du corps, au nom de la raison par l'action de la volonté. Pour lui l'homme est ainsi fait qu'il est traversé, structuré par ses passions qui sont une dérivée pour ainsi dire du désir de vivre qui l'anime. Tout le courants de la psychologie cognitive du 20ème s'inscrira dans cette pensée qui lie le corps à l'esprit, pour montrer comment les émotions sont des réactions nécessaires de notre être visant à assurer son intégrité. La spécificité de l'homme étant peut-être dans cette capacité, éminemment développée chez lui, de transformer par le jeu des représentations et des jugements la roue des émotions en sentiments. Cette capacité posant alors la question du développement d'une "compétence émotionnelle" consistant tout d'abord à bien identifier la nature de l'émotion au travers de ces différentes manifestations. Ceci constitue alors le point de départ, signalé comme on l'a vu déjà avec Sénèque, pour isoler le germe, la graine émotionnelle de la colère.

Il est intéressant de noter que cette perspective rejoint alors ce que nous dit la psychologie bouddhiste qui conçoit la conscience (ici émotionnelle) en termes de semences. Il faut reconnaître qu'en tant qu'être humain nous avons des graines de colère en nous comme l' affirme Thich Nhat Hanh. On peut suivre son enseignement et l'entendre nous rappeler que "avons aussi des graines de compréhension de sagesse de compassion de pardon".

Il convient alors selon cet enseignement d'arroser plutôt ses graines là, de la même manière qu'il s'agit de savoir quel loup il faut nourrir et comprendre que nourrir le loup blanc ce n'est pas tuer le loup noir comme une histoire originale de raconte bien. Comme le grand père Cherokee l'enseigne :


"Nourris les deux et il n'y aura plus de lutte interne pour ton attention. Et quand il n'y a plus de guerre en soi, on peut écouter les voix du profond savoir qui te guideront vers ce qui est correct dans chaque choix.
La paix et l'équilibre, mon fils, sont la mission du Cherokee dans cette vie. L'homme qui est en paix et équilibré de l'intérieur a tout. Alors que l'homme qui est déchiré par un combat interne n'a rien. La manière dont tu décides d’interagir avec ces forces opposées en toi, déterminera ta vie"

Thich Nhat Hanh explique bien lui aussi qu' "embrasser sa colère" c'est "regarder profondément la nature de la colère". Cela rappelle ce qu'on écrivait dans un ancien article de ce blog "Mais que faire de nos émotions ?" en conclusion d'un livre de Tsultrim Allione "Nourrir ses démons. utiliser la sagesse ancienne pour résoudre ses conflits intérieurs"


"Ainsi apprendre à nourrir ses démons c'est remonter la chaine de la causalité qui nous conduit sur la voie du dépassement de l'égo - ce dernier étant le fruit de la vision dualiste qui nous fait opposer le soi au monde des êtres extérieurs (les objets et les personnes)"


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